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LES FANTÔMES BLANCS

sa large main au Breton qui cria à ses camarades.

— Pat était mon matelot à bord du St-Guénolé. C’est un brave, sans mentir.

Avec l’aide des soldats anglais, l’appareillage fut bientôt terminé. Alors Harry distribua quelques pièces d’argent à l’équipage et leur demanda de conduire ses hommes à terre.

Au moment de descendre dans les canots, un vieux matelot passa près d’Harry et lui glissa un papier dans la main. Arrivé au quai, Harry congédia ses rameurs avec une récompense. Pat et les deux bretons échangèrent une cordiale poignée de mains.

— Cela remue un peu de revoir d’anciens matelots, disait Le Goëlic en regagnant le vaisseau, qui les attendait sous voiles. Laverdie boudait dans sa cabine.

Quelques instants plus tard, le brick levait l’ancre et le jeune officier et son escorte le virent disparaître dans la nuit. Alors, Harry se souvint du mystérieux papier qui lui avait été donné à bord. Il le déplia, l’écriture dénotait une main exercée. Voici ce qu’il contenait :

« Mon officier, je veille sur Laverdie, soyez sans inquiétude. S’il s’avise de revenir au Canada, vous serez prévenu à temps. »

— Est-ce un ami, et comment peut-il s’en trouver parmi ces bandits ? se demanda le jeune homme, en reprenant, tout pensif, le chemin du Château St-Louis.

. . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain, Mme Merville achevait sa toilette, lorsqu’on vint l’avertir que le général Murray l’attendait au salon.

Elle le connaissait pour l’avoir rencontré dans le salon de son père à Londres, au temps de leur opulence. Mais elle était à mille lieues de soupçonner le but de sa visite. Aussi ce fut avec son plus séduisant sourire, qu’elle entra dans le salon où le général l’attendait.

Celui-ci paraissait absorbé par la lecture d’un papier qu’il avait trouvé sur la table.

Mme Merville changea de couleur : ce papier c’était le billet écrit la veille par son complice, dans le cabaret du père Nicolas, Comment avait-elle pu l’oublier sur cette table ?

Le trouble de la belle veuve n’avait pas échappé à l’œil perçant du général, qui s’inclina, ironique :

— Bonjour ma cousine, je suis enchanté de renouveler connaissance avec vous.

Ellen répondit par quelques paroles de politesse ; mais son air contraint disait assez qu’elle soupçonnait maintenant le but de cette visite matinale.

Le général s’était assis et tout en affectant de jouer avec le billet du chevalier, il jouissait de l’embarras de son interlocutrice.

— J’apprends de jolies choses sur votre compte, madame, dit-il enfin, d’un ton sévère. On prétend que vous séquestrez les enfants de votre mari. Est-ce vrai ?

Mme Merville baissa la tête sous le regard scrutateur du général, cependant elle répondit :

— Je n’ai fait que mon devoir, monsieur.

— Votre devoir ! s’écria Murray en colère. C’était le devoir qui vous faisait capter la confiance d’un vieillard, tombé en enfance, pour dépouiller ses enfants de leur part d’héritage. Est-ce encore le devoir qui vous faisait nier l’existence de Paul Merville lorsque son ami est venu vous avertir qu’il était vivant, et vous demander de voir ses sœurs, afin de les rassurer. Étrange devoir, madame, qui vous rend la complice d’un scélérat. Ne niez pas. Que signifie ceci ? « Ma chère, notre plan est manqué. Harry est survenu au moment où j’entraînais Marguerite. Et je pars… » Après cela, me parlerez-vous encore de devoir !… Ah ! tenez, si vous n’étiez pas ma parente, je vous ferais enfermer.

Mme Merville se redressa, une flamme dans le regard :

— Et pourtant, je vous ai dit la vérité, monsieur. Si je favorise le mariage de Marguerite avec le chevalier, c’est pour me conformer aux dernières volontés de mon mari…

Le général haussa les épaules.

— Dernières volontés inspirées par vous, dit-il avec mépris. Si dépravé que fut Merville il n’aurait pas eu cette idée révoltante, de donner sa fille : une pure et douce enfant à ce scélérat de Laverdie, un coquin digne de la corde. Vous devez le connaître mieux que moi acheva Murray, devenu sarcastique, car on a beaucoup parler de votre mariage avec lui dans le temps.

Une rougeur ardente envahit le visage d’Ellen. Sans répondre, elle prit dans un secrétaire, une large enveloppe qu’elle tendit au général.

C’était le testament de M. Merville.

Or l’une des clauses de ce testament était ainsi conçue :

« Ma fille, Marguerite, devra lorsqu’elle aura atteint sa vingt-cinquième année, épouser le chevalier Gaétan de Laverdie, et ce, sous peine d’encourir ma malédiction ».

Arrivé à cet endroit, le général donna un violent coup de poing sur la table :

— Je lis dans votre jeu, madame, dit-il. Vous aimiez Harry, ou plutôt la fortune de mon oncle. Ne pouvant les avoir, vous eûtes l’idée infernale d’inspirer à un mourant cette clause ridicule qui ne tient pas debout, étant donné l’individu mis en cause. Faites venir Mlle Merville.

Ellen sonna.

— Allez dire à Mlle Marguerite qu’elle est attendue au salon, dit-elle à la servante qui se présenta.

Au bout d’un instant, la jeune fille parut. Elle tressaillit en apercevant le général. C’était pour elle qu’il était venu.

— Asseyez-vous, mademoiselle, dit Murray en avançant un siège à la jeune fille. Vous avez été victime d’une agression, hier soir ? Pourtant l’on m’affirme que vous allez épouser cet homme.

Marguerite se leva toute droite, elle devint très pâle, et désignant sa belle-mère par un geste d’écrasant mépris.

— C’est cette femme qui vous a dit cela monsieur ?

Ellen lui tendit le testament, elle lut d’un regard, et plus pâle qu’une morte elle se tourna vers le général :

— Je déteste Laverdie, dit-elle avec force, et, après ce que je viens de lire, c’est plus que de