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LES FANTÔMES BLANCS

colas fit un signe d’acquiescement, puis l’escorte sortit, emmenant son prisonnier.

Laissons-les conduire le misérable à son navire et retournons vers nos jeunes gens.

— Êtes-vous capable de m’expliquer cette scène, Marguerite ? demanda Harry dont la voix tremblait.

La jeune fille leva sur lui un regard étonné.

— Mais vous avez compris, Harry. Sans vous, cet homme m’entraînait sur son vaisseau…

— Alors vous n’aimez pas cet homme ?

— On vous a conté quelque histoire, mon ami. Parlez-moi en toute franchise. Vous avez vu Mme Merville ?

— Oui, plusieurs fois. Elle m’a toujours répondu que vous ne vouliez pas me recevoir.

— Je m’en doutais. Ses cajoleries depuis quelques temps m’inspiraient de l’inquiétude, même ce soir, elle qui nous tenait si étroitement enfermées depuis de longs mois, elle paraissait contente de me voir partir.

— Peut-être connaissait-elle les projets de Laverdie ? dit Harry dans l’esprit duquel la lumière se faisait.

— N’en doutez pas, mon ami. C’est là tout le secret de son changement de conduite envers nous… Et vous aviez cru à ces insinuations perfides ! Vous, Harry, mon fiancé… ! Le jeune homme serra plus fort le bras qui s’appuyait sur le sien.

— J’étais fou, dit-il, car j’aurais dû me défier d’elle. Pouvez-vous me pardonner, petite amie ? Marguerite serra la main du jeune officier, et dans cette chaude étreinte, celui-ci sentit qu’il était pardonné ; avec ferveur, il posa ses lèvres sur le petite main tremblante.

— Merci, ma bien-aimée, dit-il. Maintenant, il vous faut absolument sortir de cette maison. Je vais tout raconter au général Murray ; il saura, lui, faire entendre raison à sa méchante cousine. Espérez, ma chérie. Dans la maison de mon oncle Jordan, à côté de notre chère Lily qui sera si heureuse de vous revoir, vous retrouverez un peu de la vie d’autrefois.

— Que Dieu vous entende, Harry… Ah ! me retrouver près de ces bons amis… je crois que cela seul guérirait ma pauvre Odette.

— Espérons en Dieu, ma chérie, et rappelez-vous que vous n’êtes plus seule… Nous voici arrivés. À bientôt. Et serrant le main de sa fiancée, le jeune homme s’éloigna rapidement.


CHAPITRE XII
LA CLAUSE DU TESTAMENT.


En quittant Marguerite, le jeune aide-de-camp se rendit chez le gouverneur, et se fit annoncer.

Malgré l’heure tardive, il fut introduit aussitôt.

— Quelle est l’affaire qui vous amène si tard ? demanda Murray en voyant entrer le jeune homme.

— Je viens m’adresser au cousin, pour obtenir la protection du général.

— Peste, quelqu’un oserait-il vous molester, mon bel aide-de-camp ? de quoi s’agit-il ?

— C’est une longue histoire, que j’aurais dû vous raconter plutôt, car il s’agit de personnes que notre oncle Murray aimait beaucoup.

— Je vous écoute, mon cher, dit le général en s’installant dans son fauteuil, avec la mine résignée d’un homme qui se dispose à écouter un long récit.

Mais dès les premières phrases prononcées par son jeune cousin, le général perdit sa pose indifférente et prêta une oreille attentive à ses paroles.

Harry insista sur le passé de Laverdie, que Georges et le capitaine Levaillant lui avait dévoilé. Le général était furieux.

— Je n’attendais pas autre chose de ce traître et de son ami, Kerbarec, dit-il, les deux font la paire. Ils ont su se faufiler en haut lieu, en mettant leur brick à la disposition des autorités anglaises. Mais je me charge d’édifier le ministre sur la valeur de ces individus.

S’approchant de son bureau, le général traça rapidement quelques lignes qu’il tendit au jeune officier.

— C’est Laverdie qui commande à bord du « Bristol » dit-il. Kerbarec s’est rendu en Bretagne. Voici un ordre de départ que vous remettrez à cette canaille de chevalier, s’il s’avise de rouspéter, dites-lui que s’il n’est pas en route pour l’Angleterre dans deux heures, je le fais mettre en prison. Restez à bord, avec vos hommes et voyez à ce que mes ordres soient exécutés. Quant à la belle Ellen, j’irai la féliciter d’avoir eu la main si heureuse en faisant choix d’un époux pour sa belle-fille. Soyez tranquille, mon cher, votre jolie Marguerite ne vous sera pas enlevée, ajouta le général en tapant sur l’épaule de l’officier. Celui-ci le remercia avec effusion, et prit le chemin du port.

Arrivé là, il prit le canot et se rendit à bord.

Laverdie pâlit en le voyant paraître et ce fut d’une main qui tremblait un peu, qu’il prit le papier que le jeune homme lui tendait. Quand il en eut pris connaissance il releva la tête.

— Et si je refuse d’obéir ! dit-il d’une voix sombre.

— Alors, je serai obligé de vous arrêter. N’avez-vous pas compris l’ordre : départ immédiat, et défense expresse de remettre le pied sur le sol canadien, sans l’avis du gouverneur.

Laverdie marcha sur le jeune officier avec un air de fureur si grande que ses soldats l’entourèrent.

Laverdie eut un geste méprisant.

— Ne craignez pas pour la vie de cet homme, dit-il, je ne suis pas le plus fort aujourd’hui, mais j’aurai ma revanche. Si bien gardée qu’elle soit, la belle Marguerite m’appartiendra ou le diable me fera défaut… À présent, vous autres, débarrassez mon vaisseau, votre présence nuit aux manœuvres…

— Nous resterons pourtant jusqu’au moment du départ, dit Harry avec froideur. Faites votre besogne mes amis, ajouta-t-il en s’adressant à l’équipage. Mes hommes vous aideront au besoin. Pas de colère, chevalier, c’est l’ordre.

— Ça nous connaît la manœuvre, dit joyeusement Pat. On n’a pas été 4 ans matelot sur les navires de sa majesté pour rien. Tiens ! mais c’est Le Goëlic ! ajouta-t-il en apercevant l’un des matelots qui montait de la cale. Enchanté de te voir, vieux frère. En avons-nous tiré des bordées ensemble, tape-là. Et il tendit