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LES FANTÔMES BLANCS

— Ce n’est pas le courage qui manque, dit-elle sur le même ton, c’est la vie qui ne veut plus de moi.

M. Murray la regarda : sa pâleur était si grande qu’il eut peur de la voir défaillir ; il la souleva dans ses bras et la plaça dans un fauteuil.

— Reposez-vous, dit-il, ce n’est qu’un moment de faiblesse qui sera vite dissipé. Allons, venez ici vous autres, les jeunes, j’ai apporté quelques cadeaux. Qui vient la première ?

Lilian vint s’appuyer aux genoux de son oncle, tandis qu’Odette hésitait à s’avancer.

— Voyons, Odette, dépêche-toi, dit le bon oncle qui riait en voyant l’hésitation de la fillette et l’impatience qui se lisait dans les yeux de Lily. Maintenant, allez faire ouvrir ces petites boîtes par Marguerite.

La jeune fille pressa le ressort et deux colliers de perles blanches montés en or apparurent sur la soie bleue des écrins.

— Oh ! qu’ils sont jolis, et que vous êtes bon ! s’écrièrent les deux fillettes en venant se jeter au cou de M. Murray.

— À la bonne heure ! s’écria celui-ci, voilà ce qui s’appelle de la reconnaissance. Je suis certain que ces demoiselles n’en feraient pas autant, ajouta-t-il avec un regard malicieux à l’adresse d’Ellen et de Marguerite.

— Vrai ! Alors, approchez… J’ouvre les « petites boîtes » moi-même. Que dis-tu de ce bracelet, Marguerite ?

Et M. Murray tendait à la jeune fille un mince cercle d’or dont une mignonne marguerite ornait le fermoir. Mlle Merville tendit son front :

— Merci, oh ! merci ! dit-elle tout bas.

— Voici pour toi, princesse Ellen, dit alors le bon oncle en présentant à sa nièce un cercle d’or semblable à celui de Marguerite, mais dont le fermoir était une tête de serpent dont deux fines émeraudes formaient les yeux.

Était-ce une malice de M. Murray ? Peut-être avait-il été séduit par le fin travail du bijou ? Nul ne le sut jamais, mais un éclair de colère passa dans les yeux de Mlle O’Reilly et un froid « Merci, mon oncle » tomba de ses lèvres pincées.

Paul poussa Harry du coude.

— Je crois qu’elle a saisi l’épigramme, dit-il tout bas.

Le jeune O’Reilly mit un doigt sur ses lèvres.

— Chut !… dit-il.

M. Murray s’était tourné vers Mmes Jordan et Merville qui le regardait d’un air amusé, et leur tendit, à chacune, un étui en maroquin contenant un chapelet aux grains de topaze encerclés d’argent.

— Vous prierez pour moi, mesdames, dit-il, et pas de remerciements, mon cadeau est intéressé…

Tout le monde se mit à rire, y compris Mme Merville, heureuse de la joie de ses enfants.

Les jours qui suivirent passèrent trop rapidement au gré de nos jeunes amis. Un mieux s’étant manifesté dans l’état de Mme Merville, Marguerite put prendre part aux amusements que M. Murray organisaient, au grand déplaisir d’Ellen qui constatait, avec rage, l’intimité toujours croissante de son cousin et de Marguerite et les égards de M. Murray pour cette dernière. Jusqu’à présent, Mlle O’Reilly s’était montré très froide devant les attentions de M. Merville, mais elle parut s’humaniser tout à coup, ce qui n’échappa point à l’œil perspicace de M. Murray qui avait jugé tout de suite combien cet homme pouvait aller loin sous l’influence perverse d’une créature comme Ellen.

Il s’en ouvrit à M. Jordan qui lui promit de faire bonne garde.

— J’aime ces enfants à l’égal de Lily et Harry dit-il en serrant la main de M. Murray au moment des adieux, partez sans inquiétude, je surveillerai votre nièce.

Mme Merville serra bien fort la main de M. Murray.

— Je ne vous reverrai plus, dit-elle.

Une larme vint aux yeux du brave homme.

— Dieu est bon ! dit-il, et il s’élança dehors pour que l’on ne vit pas son trouble.

Mme Merville eut la force de sourire en embrassant Paul et Harry ; elle ne voulait pas leur enlever leur courage.

— En voiture ! cria M. Jordan qui voulait abréger cette scène pénible.

Un dernier baiser, une dernière poignée de main, et la voiture s’éloigna pour disparaître bientôt au tournant de la rue.


CHAPITRE V
UNE RENCONTRE.


Les jeunes filles reprirent leurs études. Ellen semblait s’être transformée : elle recherchait la société de Marguerite et traitait la fillette avec plus de douceur. Un soir, elle proposa à Mlle Merville de l’accompagner à la promenade.

— Nous irons jusqu’à l’église, dit-elle, et nous reviendrons par un autre chemin.

C’était une de ces belles soirées d’automne où la lune semble briller d’un éclat plus pur dans le bleu profond du ciel, où les étoiles mettaient des points d’or sur la mer immense qui s’étendait à perte de vue. Une légère brise soufflait du large faisant balancer les bateaux amarrés aux quais et, plus loin, on distinguait la sombre silhouette des navires en voie de chargement ou de déchargement.

Les jeunes filles allaient atteindre l’église, lorsque le son d’une cloche qui sonnait l’angelus se fit entendre dans l’air sonore.

— Trop tard, dit Marguerite, l’église sera fermée, retournons…

— Prenons cette rue, répondit Ellen, il fait si beau, cela allongera notre promenade.

Elles s’engagèrent dans une rue transversale, mais à peine y eurent-elles fait quelques pas que le nom d’Ellen, prononcé tout près d’eux, vint les faire tressaillir.

Un homme était là qui s’inclinait avec une aisance un peu sarcastique.

— Je crois que Mademoiselle O’Reilly a oublié ses anciens amis, dit-il en s’avançant en pleine lumière.

— Le chevalier de Laverdie ! s’écria la jeune fille dont une rougeur ardente envahit la figure.

— Moi-même, ma chère, et je suis d’autant plus enchanté de cette rencontre qu’on vous disait enfermée dans un couvent. Quelle jolie nonne vous auriez faite, ajouta l’étranger avec un éclat de rire.

Mlle O’Reilly fronça le sourcil.