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AGRIPPA D’AUBIGNÉ

contes, entre le « vin » et le « Fruit », conforme à la tradition du bon vieux temps, relève de la littérature gaillarde. Nous oscillons ici de l’Heptaméron à Rabelais, et de Pathelin à Brantôme.

Enay, pieux, mais non puritain, lâche des bordées gauloises comme les autres, avec sérieux, vous regardant bien en face, mâchant ses mots, et sans rire. D'Aubigné, paraît-il, parlait, contait, raillait de la sorte. Il était le plus gourmé des pétulants ; son badinage pinçait jusqu'au sang. Il ne reculait, au reste, pas plus devant les mots que devant les personnes : son vocabulaire n’a aucune vergogne. Enay lui ressemble en cela, et en beaucoup d’autres choses. Mais Beaujeu, dans ses âpres sorties du IVe livre, lui ressemble aussi : et Fœneste lui-même, son héros à rebours, n’est pas sans tenir de lui plus d’un trait. La chose est moins étrange qu’il ne paraît d’abord. Simple question d’amour-propre, et de « dédoublement ». Rien n’est plus insupportable à des esprits avertis que de voir leurs défauts, et leurs qualités mêmes, outrés et défigurés par un voisin. De là à haïr le traître, à le ridiculiser, le chemin est court. Il n’est que d’être un peu de Tarascon pour dénoncer chez autrui la tarasconnade. Tel grand artiste, comme Rembrandt, va jusqu’à se faire la grimace dans sa glace pour se donner le plaisir de sa propre caricature. Ainsi quelque chose d’un faux d’Aubigné flotte autour du Baron de Fœneste. On entrevoit même un certain « rousseau » à la cantonade, deux ou trois fois, qui lui ressemble comme un frère. Enfin certaines allusions lui sont propres et particulières. L’on comprend alors com-