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Funèbres souvenirs !

C’est en août 1920 que se déroula le dernier acte de la tragédie nihiliste, sombre dénouement d’une effroyable série de drames. L’obscurité plane encore et planera toujours en partie sur ces horribles événements ; ce que l’on sait par les récits des survivants, c’est que dans la nuit du 9 août, après une journée lourde et orageuse, d’épouvantables détonations retentirent de tous côtés sur le sol russe. Des mines préparées par la mystérieuse et terrible association nihiliste faisaient sauter le sol par plaques de plusieurs lieues carrées, avec des villes entières emportées dans les airs d’un seul bloc. L’électricité et l’air comprimé, combinés avec une mystérieuse matière explosible onze cents fois plus forte que la dynamite, tels étaient les agents employés par les conspirateurs. Les tubes, qui venaient à peine de remplacer les chemins de fer, sautaient d’un bout à l’autre avec les tunnels traversant les collines, les ponts et les stations.

Cette épouvantable série d’explosions qui faisait de la Russie tout entière un immense cratère de volcan en éruption coïncida-t-elle avec un mouvement plutonien ou détermina-t-elle un déchaînement soudain des forces souterraines ? La science n’a pu le déterminer avec certitude ; toujours est-il qu’une espèce de dislocation de la croûte terrestre, la plus colossale perturbation dont les hommes aient été témoins, se produisit sous le coup de ces effroyables explosions : la mer Noire d’un côté, la Baltique de l’autre, bondirent par-dessus leurs côtes ravagées et se répandirent avec la violence du plus épouvantable typhon, à travers l’espace sans fin des steppes russes, engloutissant tout, les débris des villes emportées dans l’ouragan de feu et les villes et villages respectés par les mines, inondant les vastes plaines, noyant les fleuves, délayant les terres des collines soulevées par le tremblement de terre, éteignant les cratères volcaniques ouverts dans le sol et changeant en quelques heures une contrée habitée par des millions d’hommes en un océan furieux charriant des monceaux de cadavres.

Les vagues de la mer Noire se heurtèrent aux vagues de la Baltique dans les steppes du gouvernement de Toula ; la mer Caspienne, sortant de son isolement, refluait par les bouches du Volga et, s’ouvrant une brèche dans les collines, se répandait sur le territoire des Cosaques du Don où elle fraternisait avec la mer d’Azow.

Il n’y avait plus de nihilistes, mais il n’y avait plus de Russes !

Tout était bouleversé ; quand après quelques jours de tempête le calme revint, la Russie n’existait plus, un océan de nouvelle formation occupait