Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des regards irrités, des dames faisaient en me voyant des gestes qui témoignaient que j’étais pour elle un objet d’horreur. Je me creusais vainement la tête pour chercher la cause de ces manifestations répulsives, lorsque tout à coup deux policewomen, envoyées par une vieille dame, vinrent me saisir par le bras.

« Are you married ? me dirent-elles.

« No ! répondis-je étonné.

« No spouse ?

« Du tout !

« Oh ! ! !

« Et elles me saisirent résolument au collet. Je me laissai faire. Nous arrivâmes ainsi chez le coroner. Ce magistrat débuta par me faire la même question : are you married ? — Non, monsieur, pas encore ! — Alors, vous êtes célibataire ? — Apparemment ! — C’est grave ! très grave ! murmura le coroner en me regardant d’un air désapprobatif, je vais être obligé de vous envoyer à la prison des célibataires ! — Mais je suis étranger ! — Ceux que l’on arrête disent tous la même chose ! — Mais, écoutez-moi, à mon accent vous voyez bien que je suis Français ! — Tout le monde parle plus ou moins français, cela ne prouve rien. Avez-vous des papiers ?

— Vous savez bien qu’il n’y a plus de passeports depuis le moyen âge…

— Alors, tant pis pour vous, je vais vous envoyer à Bachelor’s Prison. Vous tâcherez de vous faire réclamer.

« L’aventure me semble tellement drôle que je me laisse conduire en riant à Bachelor’s Prison, curieux de connaître cette Bastille des infortunés célibataires.

« Oh ! oh ! des murs de dix mètres de hauteur, des fenêtres grillées, des portes massives, c’est une prison sérieuse. La guichetière — car à Bachelor’s Prison les guichetiers sont des guichetières — m’inscrit froidement sur un registre et me fait conduire dans une cellule meublée d’un lit, d’une table et d’une chaise. Une autre geôlière m’apporte un paquet de vieilles cordes et me dit ce seul mot : — Travaillez ! Je demande des explications. Je suis condamné à huit jours de travaux forcés ; si je veux déjeuner et dîner, il faut que je défile le chanvre de ces vieilles cordes, sans arrêt, de six heures du matin à six heures du soir ; à six heures je dînerai, à sept heures je passerai à la chapelle, où j’entendrai des sermons mormons jusqu’à minuit.

« Ce genre d’existence me semble assez peu récréatif, et je songe à me