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Le Vingtième Siècle.

Compagnies de diligences l’avait été par les chemins de fer… c’est dans la destinée de la famille… Il m’arrivera la même mésaventure quand on remplacera les tubes et l’électricité par quelque moyen de locomotion meilleur et plus rapide !

L’oncle Casse-Noisette, après avoir poussé quelques gémissements inarticulés, ne parla plus et se contenta de protester contre le siècle par des hochements de tête réguliers qui le conduisirent rapidement au sommeil.

— Voyons, mes petites, reprit M. Raphaël Ponto en s’adressant à ses filles, causons de choses plus sérieuses que les antiques chemins de fer et les fabuleuses diligences de notre vénérable oncle ! Voyons, dites-moi, suis-je un homme pratique ?

— Certainement, papa, répondirent Barbe et Barnabette, vous êtes un homme pratique.

— Excessivement pratique ! dit le banquier ; père pratique, tuteur pratique ! je vous ai fait donner une éducation pratique ! La vie de collège, il n’y a que cela pour retremper la jeunesse ; je regarde l’éducation de la famille comme trop amollissante et je pense qu’elle ne donne pas aux jeunes gens le nerf nécessaire pour se lancer dans la vie avec des chances de réussite ; oui, vraiment, le lycée était avantageux pour vous et pour moi… C’est vous surtout, ma chère Hélène, qui devez vous applaudir d’avoir reçu une éducation pratique ! En ma double qualité d’homme et de tuteur pratique, je vous ai flanquée au lycée quand vous avez eu dix ans… dans un lycée éloigné, sur les côtes de Bretagne… bonne situation, air salubre, brises marines fortifiantes, vacances très limitées, ce qui est excellent pour la tranquillité !!… Vous étiez très bien à Plougadec-les-Cormorans…

— La réforme universitaire d’il y a vingt ans a porté d’excellents fruits, dit un des amis de M. Ponto ; l’éducation est maintenant exclusivement pratique !

— Un peu trop de sciences exactes, fit Hélène avec un sourire.

— Jamais trop, mademoiselle, dit sentencieusement Ponto.

— De la physique, de la chimie, des mathématiques transcendantes toujours et toujours… jusqu’à donner le cauchemar ! dit Hélène en esquissant une moue qui prouvait qu’elle n’appréciait que très faiblement les agréments du lycée de Plougadec-les-Cormorans.

— Des mathématiques jusqu’à indigestion ! ajouta irrévérencieusement Barnabette.

— Et le cours de droit, grand Dieu ! reprit Hélène, voilà encore