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estimable pensionnaire, en faisant sa demande, lui enlevait sa montre ; mais elle n’osa rien dire.

Tout au bout d’un immense jardin divisé en compartiments séparés par des haies de rosiers, l’infortuné Jupille avait son jardinet. Les visiteurs l’aperçurent étendu dans une brouette, les jambes allongées sur l’herbe, le nez en l’air, la pipe à la bouche et gravement occupé à lancer le plus haut possible, vers les nuages, des bouffées de fumée.

« Il rêve ! dit le philanthrope, c’est bon signe, c’est le commencement de la régénération.

— Bonjour, monsieur Jupille. dit Mlle Malicorne en ouvrant la porte du jardinet, vous vous étonniez peut-être de ne pas avoir encore vu vos avocates, mais nous étions si occupées… Et comment vous trouvez-vous ici ?

— Pas mal, pas mal, je vous remercie… donnez-vous donc la peine d’entrer voir mon petit potager… et d’abord à mon avocate, faut que j’offre un petit bouquet confectionné à son intention… »

Et l’infortuné Jupille tira de dessous sa brouette un petit bouquet qu’il présenta galamment à Hélène.

« Vous êtes assez bien ici, dit Mlle Malicorne le lorgnon à l’œil ; mais ça manque un peu d’ombre… »

Le philanthrope la poussa du coude.

« Pas même un petit berceau… »

Le philanthrope donna un nouveau coup de coude.

« Chut ! glissa-t-il à l’oreille de l’avocate, il y avait une tente dans son jardin, je l’ai fait enlever, pour éviter de lui rappeler la tante qui lui causa tant de désagréments… Pas d’allusions, surtout, je vous en prie !

— Je comprends et j’apprécie toute la délicatesse de ce procédé, répondit tout bas Mlle Malicorne, je vais lui parler d’autre chose…

— Alors, reprit-elle tout haut, vous êtes confortablement ici ?

— Mais oui, je ne me plains pas, répondit Jupille ; la nourriture est convenable, on a des distractions… Je crois que je m’y plairai, il n’y a qu’une chose qui me chiffonne, c’est pas pour faire des reproches à la maison, mais…

— Quoi donc, mon ami ? demanda le directeur.

— C’est le café qui me semble de qualité inférieure, vous devriez changer votre fournisseur… et puis, ça manque de billards…

— Mais il y en a six dans la grande salle de récréation !

— C’est pas assez ! ils sont toujours pris, il faut attendre son tour un peu trop longtemps…