Page:Robida - Le Vingtième siècle - la vie électrique, 1893.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
Le Vingtième Siècle

Georges et Estelle, entraînés par le courant sympathique de ces bonnes vieilles mœurs, se joignirent aux rondes avec quelques étrangers en train de faire une cure de repos, et Sulfatin lui-même parut s’y mettre de bon cœur. Son malade regardait, n’osant se risquer : Grettly le poussa dans la ronde et lui fit faire quelques tours, après lesquels il s’en alla tomber, essoufflé, sur un banc de bois, près des tonneaux de cidre, parmi les gens que la danse altérait.

Estelle est tout à fait heureuse. Tous les deux jours, le facteur lui apporte une lettre de sa mère. Le facteur ! On ne connaît guère plus ce fonctionnaire maintenant, excepté dans le Parc national d’Armorique. Partout ailleurs, on préfère téléphonoscoper, ou pour le moins téléphoner ; les messages importants sont envoyés en clichés phonographiques arrivant par les tubes pneumatiques ; il n’y a donc plus que les parfaits ignorants du fond des campagnes qui écrivent encore. Estelle seule connaît les émotions de l’heure du courrier, car Georges Lorris ne reçoit pas de lettres. Il a écrit à son père après quelques jours passés à Kernoël, mais Philox Lorris n’a pas répondu. Peut-être n’a-t-il pas encore eu le temps d’ouvrir la lettre.


Le dernier facteur.

Sulfatin reçoit aussi sa correspondance, non pas des lettres, mais de véritables colis apportés par la diligence, des paquets de phonogrammes qu’il se fait lire par le phonographe apporté dans son bagage. Il répond de la même façon, c’est-à-dire qu’il parle ses réponses et envoie ensuite les clichés phonographiques par colis. Cette correspondance est ainsi expédiée rapidement et Sulfatin est ensuite maître de tout son temps.

À la grande surprise de Georges, l’imperturbable Sulfatin continuait à ne rien dire, à ne pas protester contre le séjour dans ce pays arriéré de Kernoël. Il oubliait complètement les instructions de M. Philox Lorris ; un Sulfatin nouveau s’était révélé, un Sulfatin gai, aimable et charmant. Il ne cherchait aucunement à troubler les joies paisibles de ces bonnes journées et ne s’efforçait point de susciter, ce qui n’eût pas été facile d’ailleurs, des motifs de brouille, ainsi que le lui avait pourtant si expressément recommandé Philox Lorris. Étrange ! étrange !