composition et de l’improvisation ? Quelque nettes que soient leurs vues, quelque vives que soient leurs conceptions, ou quelques brûlantes que soient leurs émotions, la phraséologie dont ils disposent ne suffit pas à rendre ce qu’ils sentent, et c’est en vain qu’ils s’efforcent d’évoquer les mots ou les tours de phrase qui formuleraient fidèlement leurs pensées et leurs sentiments. Ils sont renfermés dans un cercle d’expressions trop générales ou trop restreintes, trop fortes ou trop faibles, et le résultat de leurs pénibles efforts est un style à la fois languissant et rédondant, laborieux et obscur, donnant un éclatant démenti à cet axiome de Boileau :
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
« Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Non, les mots n’arrivent pas plus aisément à l’écrivain novice que les pierres de taille et les moellons n’arrivent à l’architecte dénué de ressources.
Tout ouvrier, dans l’exercice de son art, doit être muni des instruments convenables. Pour la fabrication des pièces compliquées d’un mécanisme, l’artisan a besoin d’un assortiment correspondant d’outils et d’instruments variés. Pour donner tout leur effet aux fictions du drame, l’acteur doit avoir à sa disposition une garde-robe complète, qui lui fournisse les costumes les mieux appropriés aux personnages qu’il représente. Pour retracer avec perfection les beautés de la nature, il faut que le peintre ait à la portée de son pinceau toutes les combinaisons des teintes et des nuances.
Ce qu’il faut à l’écrivain, c’est un vocabulaire disposé de telle façon qu’il y trouve, groupés dans la même colonne ou dans la même page, tous les mots et toutes les locutions ayant rapport à l’idée qu’il veut rendre. Par suite d’une semblable classification, l’écrivain rencontrera nécessairement l’expression demandée au nombre des termes offerts avec profusion à son choix. En outre, l’examen d’une liste de mots analogues par le sens lui suggérera souvent par induction d’autres associations d’idées, ouvrant à son imagination des aspects nouveaux et variés, et agrandissant la sphère de sa vue intellectuelle. Car le langage n’est pas simplement le moyen par lequel nous communiquons nos idées ; il remplit une fonction non moins importante comme instrument de la pensée ; il ne se borne pas à lui servir de véhicule, il lui donne des ailes. Les métaphysiciens s’accordent à reconnaître qu’il n’est presque pas une de nos opérations intellectuelles qui puisse être poussée un peu loin sans le secours des mots. Mais pour employer avec aisance et promptitude des