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Pour les juger, je vous le dis, nous aurons sans doute les saints.
Mais les saints ne suffisent pas pour énoncer tant de sentences.
Ceux qu’on a jugés les premiers, autrefois, pendant l’existence,
Comme il est dit au livre vrai, ne seront jugés qu’à la fin.
Ils jugeront d’abord le juge, ils pèseront les circonstances.
À leur tour alors d’écouter l’attaque autant que la défense.
Les juges vont enfin passer au tribunal du grand matin.


Les tire-laine dans la nuit, les voleurs crachant leurs poumons,
Les putains des brouillards anglais accostant les passants dans l’ombre,
Les déserteurs qui passaient l’eau happés dans le canot qui sombre,
Les laveurs de chèques traqués, les nègres saouls dans leur boxon,
Les gamins marchands d’explosifs, les terroristes des jours sombres,
Les tueurs des grandes cités serrés par les mouchards sans nombre
Avant d’être à nouveau jugés font la grande cassation.


On les verra se rassembler, montant vers nous du fond des âges,
Ceux qui, les raquettes aux pieds, parmi les neiges du Grand Nord,
Ont frappé au bord des placers leurs compagnons les chercheurs d’or,
Ceux qui, dans la glace et le vent, au comptoir de saloons sauvages,
Ont bu dans des verres grossiers l’alcool de grain des hommes forts
Et qui, négligeant la loi, confondant l’oubli et la mort
Ont rejeté les vieux espoirs de gagner les tièdes rivages.


Ils s’assiéront auprès de ceux qui ont tiré dans les tranchées
Et puis qui ont dit non un jour, fatigués des années d’horreur,
Des soldats tués pour l’exemple et des décimés par erreur,
Et près des durs, des militants de toutes les causes gâchées,
De ceux qui tombent en hiver sous les balles des fusilleurs,
De ceux qu’enferment aux cachots les polices des Empereurs,
Et des jeunesses de partout par leurs chefs en fuite lâchées.


Oui tous, les soldats, les bandits, on leur fera bonne mesure ;
Ne craignez pas, hommes de bien, ils seront jugés eux aussi,
Mais c’est à eux pour commencer qu’il convient de parler ici.
Car la parole est tout d’abord à ceux qui courent l’aventure,
Et non à ceux qui pour juger se sont satisfait d’être assis,
De poser sur leur calme front leur toque noire ou leur képi,
Et de gagner d’un peu de sang leur carrière et leur nourriture.