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les mendiants de la mort

Robinette, demeurée seule, se plaça devant la psyché et laissa échapper un cri mêlé de joie et de regret en se trouvant plus charmante sous ce costume d’autrefois que dans aucune de ses toilettes journalières.

Elle portait un corsage de satin rouge galonné sur toutes les coutures, une jupe de soie blanche, recouverte de la tunique de gaze pailletée, des souliers rouges bordés d’argent, le tout garni de rosettes de rubans et des divers affiquets qu’amassent sur elles les petites bateleuses, mais relevés par la fraîcheur et la richesse. Les manches courtes, le corsage décolleté laissait voir les tons délicats et rosés de la peau satinée de la jeune fille ; sa chevelure, déroulée en nattes brillantes, paraissait dans toute sa beauté.

Robinette, pour compléter l’illusion, se mit à sa harpe, et chanta sa vieille romance : Donnez-moi celle fleur chérie

Peu à peu sa voix trembla d’une légère émotion, ses grands yeux, ordinairement si riants, devinrent humides, son regard se perdit dans l’espace, ses traits laissèrent voir une émotion aussi profonde qu’elle devait être fugitive, et, lorsqu’elle modula les dernières notes de sa chansonnette, ses accents se détendirent peu à peu jusqu’à s’éteindre tout à fait.

— C’est étrange ! dit-elle. Il me semblait y être encore…. Je voyais l’arbre des Champs-Élysées contre lequel je m’adossais ; je voyais les étoiles scintiller entre les feuilles, puis la file des équipages passer rapide comme le vent ; je sentais l’air du soir, si doux à respirer avec la liberté ; je regardais à mes pieds si je ne verrais pas tomber un sou dans ma sébille : j’étais folle ! Oh ! c’est que ce sou me donnait autant de bonheur que toutes mes richesses d’à-présent, plus peut-être ; car je viens d’entendre je ne sais quelle voix murmurer à mon oreille : C’était là le bon temps.

On entendait sans cesse des voitures entrer dans la cour.

— Bon Dieu ! à quoi vais-je penser ! s’écria Robinette, quand lout mon monde doit être venu maintenant !

Elle essuya ses beaux yeux, laissa là avec sa harpe ses doux ressouvenirs, et courut au salon.

Une centaine de personnes se trouvaient déjà réunies.

Cette société était naturellement très-mêlée. Les femmes étaient de grandes dames de hasard, ainsi que la mal-