Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
les mendiants de la mort

seule, triste, étrangère à tout au monde, sans joie dans le passé ni dans l’avenir, ne conservant pas même un honorable nom… c’est pourquoi seulement à présent je viens vous dire : Valentine, je vous adore, laissez-moi vous sauver.

La jeune femme se tut quelques instants.

Le silence de ce moment était palpitant d’émotions puissantes. Léon se reposait de longs et pénibles efforts après avoir épanché le secret qui habitait en lui depuis des années. Celle qui venait de l’entendre goûtait un adoucissement inconnu à ses ennuis, à l’ingratitude dont elle avait souffert, dans la révélation d’un amour profond et vrai. Herman, dont le souffle brûlant effleurait le rideau, attendait avec une anxiété dévorante les premières paroles qui sortiraient de la bouche de Valentine, ne sachant encore ce que la colère et le désespoir lui inspireraient si elle cédait aux vœux de Léon.

— Mon ami, dit enfin Valentine, je sens tout ce qu’il y a de grand, de généreux dans votre conduite… Dans un seul instant, mais bien solennel pour moi, je juge, je contemple dans toute son étendue le sentiment que je vous ai inspiré. Et cependant, à cette heure, je ne puis répondre à tout ce que je vous dois, même par une entière confiance… Il faut que je me recueille pour exprimer à mon tour ce que j’ai à vous communiquer.

— Ah ! Valentine, vous croyez que votre situation vous impose encore des lois à respecter…

— Non. Je puis vous dire dès ce moment que je ne me crois liée par aucun devoir.

— N’êtes-vous pas veuve ?… plus encore que vous ne le seriez d’un mari mort, qui, par ses vertus, son amour eût mérité de vous un souvenir tendre et fidèle ?

— Je le crois. M. de Rocheboise a brisé de son côté, le nœud qui l’unissait à moi ; je dois être libre aussi. Un serment prononcé par deux êtres ensemble ne peut lier l’un sans l’autre… La bague d’alliance est trop fragile pour ne se rompre que d’un côté.

Valentine ajouta avec un triste sourire

— Aussi, vous le voyez, elle est tombée de mon doigt.

Léon saisit et baisa ardemment cette main délivrée de l’anneau conjugal ; mais Valentine la retira doucement en continuant :

— Oui, quoiqu’on en pense ailleurs, ma conscience m’éclaire et je n’écoute qu’elle. Les lois éternelles de l’a-