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les mendiants de la mort

Il reconnaissait bien ce pavillon, asile autrefois des plus belles fleurs du jardin et de celles qui venaient d’éclore au-dessous dans leur serre-chaude. Ce petit temple parfumé, gracieux comme un bouquet, épais comme une forêt ; c’était là qu’il était souvent venu se reposer pendant la chaleur sous le dôme majestueux et doux des plantes élancées des tropiques ; c’était là, souvenir plus cher, qu’il avait rencontré pour la seconde fois sa mère, encore inconnue de lui.

Mais à présent tout cela était dévasté. Les massifs d’arbustes odorants avaient fait place à quelques meubles d’une simplicité puritaine et d’un aspect attristant ; les glaces étaient restées incrustées aux parois mais dépouillés de leurs gracieux cadres de mousse et de feuillage, elles ne formaient plus que de pâles murailles : un espace vide, un jour cru se reflétaient seuls dans leurs profondeurs de nuance livide.

Au-dessous de cet étage, l’ancienne serre-chaude servait de logement à la vieille gouvernante, qu’on apercevait aussi, à travers sa croisée à barreaux, s’occupant des soins d’un modeste ménage.

Herman était abreuvé, à cette vue, d’amers regrets. Cette triste situation de Valentine était son ouvrage ; il l’avait exilée de la place brillante qu’elle était si bien faite pour tenir dans le monde, il avait créé autour d’elle la solitude, l’obscurité. Et maintenant, il ne pouvait rien pour elle ; quand même elle consentirait à la recevoir de lui, il n’aurait pas, après les désordres de sa vie, une place honorable à lui rendre dans le monde… Il se disait tout cela dans la triste effusion de son cœur, et ne songeait pas que son repentir, son amour passionné le relevaient de ses fautes, et seraient pour Valentine une richesse bien au-dessus de celles qu’elle avait perdues !

À dater du premier jour où il entra dans la mansarde, l’existence d’Herman fut ainsi partagée :

Il sortait tous les jours seul, à pied, ayant eu soin de donner à Pasqual une raison supposée de ces excursions étranges ; car il voulait garder son secret en lui-même ; il craignait, alors, le regard de son confident habituel : le bonheur l’avait rendu enfant et dissimulé. Il passait plusieurs heures, par tous les temps possibles, a la fenêtre du petit logis inhabité ; puis il revenait à l’hôtel reprendre son genre de vie habituel, dans lequel il était trop engagé pour pouvoir le rompre subitement.