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les mendiants de la mort

Arrivé là, il courut à la fenêtre.

La veille, Herman, à cette croisée, avait été frappé d’une vision qu’il crut d’abord imaginaire, tant elle offrait de surprise et de douceur. Après avoir contemplé l’hôtel de Rocheboise, en ramenant son regard plus près de lui, il avait vu, dans le cadre d’une fenêtre située précisément en face de celle qu’il occupait, une femme jeune, svelte, vêtue de noir, dans laquelle il avait cru reconnaître Valentine.

Palpitant, l’âme agitée de mille troubles, il avait tenu un instant son regard baissé, redoutant qu’un nouveau coup d’œil le détrompât sur cette douce illusion… Mais c’était une crainte vaine, car un examen plus assuré lui avait fait reconnaître, à n’en pouvoir douter, celle que depuis si longtemps il voyait sans cesse en imagination, et cherchait toujours à ses côtés, tout en la croyant bien loin de lui.

L’appel de Pasqual lui avait fait subitement quitter la croisée. Il avait enfermé son secret dans son âme, mais s’était bien promis de trouver le moyen de revenir seul dans la bienheureuse mansarde.

Ce jour-là, il fut moins étonné de la présence de Valentine en reconnaissant l’habitation dans laquelle il l’avait aperçue.

C’était le pavillon situé à l’extrémité du jardin de l’hôtel et servant autrefois de serre chaude. Le petit bâtiment qui, outre le balcon donnant sur le jardin, avait des fenêtres et une sortie indépendante sur la rue Las-Cases, était habitable à la rigueur. Et sans doute Valentine, dans la gêne volontaire où elle s’était placée, dans la retraite où elle voulait vivre, avait loué, après la vente de l’hôtel, ce logement isolé, solitaire, et de plus, cher à ses souvenirs.

Lorsque Herman revint ce matin-là se remettre à la fenêtre de la mansarde, celle du pavillon n’était pas encore ouverte. Son regard se reposa quelque temps avec une triste douceur sur l’hôtel qui fut à lui. Le bâtiment, donnant sur la rue Saint-Dominique, était très-découvert du côté de la rue Las-Cases, vers laquelle s’étendait son beau jardin. Herman revit les fenêtres de sa chambre, de celle de Valentine, les cimes des grands marronniers, changées en masses noires par l’hiver… toute la perspective de cette demeure splendide et bienfaisante… de ce paradis perdu par sa faute…