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les mendiants de la mort

Le lendemain de semblables journées, Herman se réveillait plus amoureux de Valentine que jamais.

Il menait pourtant cette existence de plaisirs licencieux, désordonnés qu’on lui avait présentée comme le souverain remède à ses maux. Des querelles, des parties de jeu furieuses, des affaires d’honneur engagées et rompues, étaient venues y mettre des émotions plus poignantes. Rien ne troublait Rocheboise dans le cours de ses folies. Son père, satisfait de la part de biens qui lui était allouée, n’avait pas cherché à se rapprocher de lui ; excepté quelques amis des mœurs les plus faciles, il s’était séparé de son ancienne société, et rien ne venait éveiller en lui des regrets ni des remords. Il ne lui eût fallu pour être heureux que l’oubli de son amour, et cet amour dominait tout le reste, absorbait toute son âme.

Une fois cependant, il crut que l’étourdissement du plaisir pourrait triompher en lui, et qu’il allait trouver son salut dans une ivresse plus puissante que les autres.

Le second hiver de son établissement dans la Chaussée-d’Antin était près de finir. Herman, pour varier l’aspect de ses fêtes, avait inventé les soupers travestis. C’étaient des festins appartenant à d’autres temps, à d’autres nations ; les décorations de la salle, le service de la table, étaient transformés comme les costumes, et l’ensemble offrait un tableau historique dans toute sa fidélité de couleurs.

Ainsi, on avait eu un souper du seizième siècle, où la salle imitait une massive structure, soutenant à ses lambris des masses d’armes et des devises bachiques. À chaque face s’élevaient de grands dressoirs à colonnes torses, portant les vaisselles curieuses du temps. La table offrait des mets de résistance, fortement épicés, dans des plats ornés de figures d’animaux, de reptiles en relief ; puis des aiguières, des drageoirs, des fontaines d’où le vin coulait dans des verres immenses. Les convives, transformés en chevaliers sans peur et sans reproche, n’avaient heureusement à imiter les anciens preux que dans les exploits que ceux-ci effectuaient à table.

Ces beaux jeunes gens portaient des costumes d’une exactitude parfaite et de toute magnificence, mais dont ils étaient parés pour eux seuls, et qui ne devaient point être profanés par les regards de la foule.

Un souper espagnol et un autre vénitien avaient eu le même succès.

Rocheboise, le soir dont nous parlons, donnait un sou-