Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
les mendiants de la mort

vos moindres volontés… Je n’en ai pas mieux fait à la vérité !… mais enfin j’eusse été peut-être encore plus malheureux sans vous !… Il n’en résulte pas moins que tandis que vous portez ma livrée, c’est moi réellement qui porte la vôtre… Faites-moi donc le plaisir de quitter cet habit de valet de chambre qui vous met trop au-dessous de moi, quand ce n’est nullement votre place.

Dès ce jour, Pasqual avait constamment porté l’habit noir, qui allait à tous les rôles et qui était de nature énigmatique comme le caractère qu’il avait lui-même auprès de M. de Rocheboise ; il montait dans la voiture à côté de son maître, s’asseyait souvent près de lui au foyer de sa chambre à coucher ; et, quittant tout service subalterne, il s’enfermait entièrement dans sa charge d’intendant.

À ce titre, il avait bien encore assez d’occupations pour chaque jour et pour chaque heure.

Le matin, Herman assistait aux manèges, aux jeux du sport, où il paraissait à la tête de ses chevaux à la fière encolure, au poitrail nerveux, aux naseaux ouverts et ardents, à la pelure satinée. Il passait la matinée à discourir avec ses compagnons de course, avec ces admirables jeunes gens qui, par leur sympathie pour la race chevaline, par le génie qu’ils appliquent aux exploits du sport, s’élèvent à la hauteur de leurs bêtes.

L’après-midi, Rocheboise montait en voiture. Il conduisait sa belle maîtresse aux Champs-Élysées et au bois, dans une calèche à quatre chevaux qui faisait miroiter l’azur et l’argent de sa conque élégante dans la glace dont l’hiver couvrait les chemins ; il laissait tout le monde, sur son passage, ébloui de son faste suprême.

Le soir, il y avait dîner, réception ou fête à l’hôtel. Les décorations des vastes appartements étaient magnifiques et toujours nouvelles ; les tentures, adaptées à des baguettes d’or, se démontaient à volonté, et chaque soir on plaçait celles dont l’étoffe et la nuance convenaient au caractère de la réunion. Les jardins, couverts de vitraux en hiver, attiédis par des foyers dérobés, et éclairés de lueurs semblables à la lumière du jour, conservaient un printemps éternel.

La foule des jeunes hommes de la gaieté la plus animée, des femmes les plus belles, et dont les yeux devaient causer le moins de martyres, remplissait les salons. On y passait la nuit ; la durée de la fête était charmante, et on n’avait jamais la tristesse de la voir finir, car l’ivresse sa chargeait d’en dérober le terme.