Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
les mendiants de la mort

tait là qu’étâient ses amours. Mais il se contint, comprenant la nécessité de réfléchir d’abord à ce qu’il y avait à faire en cette circonstance.

Robinette ne s’était point aperçue de son trouble ; toujours devant la glace, elle renouait le ruban qui soutenait autour de son cou un col de dentelle, et elle drapait son écharpe sur ses épaules.

Pendant cela, Herman réfléchissait que la pétulante et hardie courtisane n’accepterait pas une rupture sans éclat, sans résistance. Ce serait donc une discussion très-désagréable à engager. Il avait voulu, il voulait encore lui faire savoir par un ordre laconique qu’elle eût à se séparer de lui et à l’oublier ; mais face à face avec elle, lui adresser des paroles dures, et en recevoir peut-être d’insolentes de sa part, était une lutte abaissante dont il ne pouvait supporter la pensée.

De plus, les jeunes gens de sa société allaient arriver : les rendre témoins de cette scène en redoublerait encore les dégoûts.

Enfin, l’apparition de la femme entretenue dans la maison de M. de Rocheboise devait à tout prix rester secrète ; on pouvait bien acheter la discrétion des concierges, mais il ne fallait pas, par un éclat scandaleux, augmenter l’importance du fait, et rendre le silence plus difficile.

Le caractère d’Herman, d’une délicatesse fière et timide, penchait bien vite d’ailleurs vers la temporisation.

Mais, d’un autre côté, il était difficile pour Herman de savoir quelle contenance tenir en face de la jeune fille, après l’accueil chaleureux qu’il venait de lui faire, et dans les dispositions d’esprit où il était maintenant envers elle : la situation se compliquait d’une manière cruelle. Heureusement, la présence du concierge vint rompre le tête-à-tête et l’extrême embarras qu’il entraînait.

Le brave gardien avait réfléchi que puisque M. de Rocheboise avait du monde à souper, il fallait dresser une plus grande table, et il venait s’occuper de ce soin.

Dès lors, l’intérêt du souper absorba entièrement Robinette. Se fiant peu au concierge pour l’arrangement de la table, elle voulut y présider elle-même. Maîtresse de maison plus vive et gracieuse que légitime, elle se mit à explorer tous les coins du grand bâtiment, ouvrant partout les armoires, les offices, et butinant tout ce qui pouvait servir à l’édifice de son couvert ; sans oublier les grandes