Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
les mendiants de la mort

famille proscrite était aussi un vétéran qui, après bien des marches forcées et des blessures, retournait enfin au pays.

— Pour cette nuit, dit Gauthier, nous allons voyager à pied, et seuls tous deux.

— Comment, seuls… et notre jeune ami ?

— La voiture, les chevaux sont renvoyés, continua le vieillard en riant, et ce bâton compose tout notre équipage.

— Mais lui !… lui ! répéta vivement Herman.

— Nous le retrouverons sur le rivage.

— Si loin !

— Deux lieues tout au plus… partons !

Il faisait un vent violent, le ciel était sombre, la pluie commençait à tomber, et une route à pied, par un temps pareil, semblait promettre peu d’agrément… Mais l’humeur qui est en nous décide mieux du temps que les nuages du ciel : le vieux Gauthier, rajeuni par l’espérance, s’arrangeait de tout comme à vingt ans ; Herman, voyant qu’on cheminerait désormais à pied, se croyait bien certain de toucher au terme du voyage ; cette pensée rendait sa marche légère au milieu de tous les obstacles.

Les voyageurs, éloignés de toute route, dans des parrages inconnus, suivaient seulement, pour ne pas errer dans les champs, quelques guides de hasard, tels qu’une haie ou le lit d’un ruisseau.

— Mais en quel endroit nous attend notre ami ou plutôt notre maître ? demanda Herman en souriant.

— Je vous l’ai dit, sur le bord de la mer.

— C’est un point de rendez-vous un peu vaste.

— N’importe, il m’a dit que nous le retrouverions là, et j’en suis sûr.

— Et la mer elle-même, comment la trouverons-nous en allant, ainsi dans la nuit ?

— Il est une boussole qui guide dans l’obscurité les oiseaux aquatiques, les tortues, et qui va nous conduire nous-mêmes au but, si vous le voulez bien… Écoutez !

Un bruit lointain, uniforme et imposant commençait à se faire entendre. C’était le long murmure des flots ; et les bruits de la nature sont si expressifs, si puissants, que chacun se détache dans l’ensemble d’une imposante harmonie ; ainsi au milieu des rafales incessantes du vent, de l’ondée ruisselant sur le feuillage, du tonnerre qui grondait au loin, on distinguait la voix de la mer qui appelait les voyageurs de son côté.