les deux partis sont également satisfaits d’en finir. Les pauvres vagabonds ont repris à leurs adversaires l’argent qu’ils emportaient, et les deux mendiants à domicile s’estiment heureux de pouvoir se sauver de la bagarre, même les mains vides.
Mais quelques membres de la troupe ont été frappés jusqu’au sang. Furieux de leurs blessures, et devenant plus hardis et plus acharnés en voyant fuir leurs adversaires, ils les poursuivirent à coups de pierres.
Maître Friquet s’est élancé dans la campagne et a bientôt disparu dans la nuit ; son compagnon, moins bien avisé, après quelques enjambées à travers les champs, se jette sur la route, où sa forme sombre se détache davantage.
C’est donc vers lui que les mendiants dirigent leur poursuite, avec d’autant plus d’avantage que le malheureux, effaré, haletant, est encore retardé dans sa course par le poids de l’âge ; ceux qui le pourchassent lancent contre sa grande robe noire une grêle de pierres et le harcèlent de menaces, promettant de le faire payer pour deux s’ils peuvent le rejoindre.
À cet instant une voiture passe sur la route.
À la grande surprise des mendiants, cette voiture s’arrête subitement, s’ouvre devant le vieux Rocheboise, donne un asile au fuyard et reprend sa course pour disparaître bientôt dans le lointain.
Tout le rassemblement revient alors vers son gîte.
La colère des pauvres bonnes gens a déjà disparu. Les blessés lavent leurs contusions avec du vin, et tous ensemble commencent à rire de l’aventure.
L’ordre est bientôt rétabli. Cette fois, chacun serre dans sa poche l’argent qui lui est échu en partage.
Mais le vin coule à la ronde. Il faut boire pour se remettre des fatigues du combat, boire pour fêter le bon sac d’écus qu’on a retrouvé, boire encore pour se dire adieu, et bientôt les énormes cruches sont taries.
Au dernier coup de vin, le père Corbillard prend la parole.
— Écoutez donc ! dit-il, nous nous sommes rassemblés pauvres, nous allons nous quitter riches ; il ne faut pas être moins bons camarades pour cela…Trinquons.
— Mes amis, dit Eustache en portant la main sur sa poitrine, où reposent les bons billets de banque, dans quelque temps vous ne reconnaîtrez plus Eustache le viel-