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les mendiants de la mort

rural ; cette vaste charpente, ouverte du côté de la route, était formée de planches rompues, et couverte de chaume.

Là se trouvaient réunis un grand nombre de gens qu’au premier regard on pouvait reconnaître pour de pauvres vagabonds.

Leur assemblage formait pourtant un coup d’œil pittoresque. Ces personnages à longues barbes, à manteaux troués, portant des besaces, des bâtons, étaient assis pêle-mêle sur des blocs de pierres, des poutres, des tas de paille, et blottis dans tous les coins de la salle rustique. Au centre de l’assemblée, une grande sacoche posée à terre était ouverte, et sur le vieux cuir on voyait étalées des piles d’écus, des tas de monnaie. Immédiatement au-dessus, sur des planches dressées en table, et couvertes de pots de vin, était le bout de chandelle qui éclairait la scène.

La charpente, revêtue de chaume, décrivait autour de ce tableau un grand cadre noir ; un beau tapis de gazon s’étendait devant le hangar ; au delà planait la campagne, dont une nuit sereine laissait pénétrer les fraîches prairies et les longs rideaux de verdure.

Herman, au bord de la route, embrassait cette perspective à travers le cintre de grands arbres, à peu près comme dans une salle le spectateur domine le théâtre.

Nous allons maintenant rapporter ce qui se passait sur cette scène rustique.

Les mendiants réunis là étaient ceux que nous avons vu opérer une descente chez le père Corbeau, s’emparer de ses richesses et procéder à ses funérailles.

Ne voulant posséder aucune valeur chez eux tant qu’ils pouvaient redouter les recherches de la justice, les mendiants avaient enfoui leur trésor dans un coin de terre de cette campagne déserte, se proposant de le lui redemander plus tard.

Maintenant, plusieurs mois avaient passé sur la fosse de leur vieux camarade, la neige s’était effacée sans laisser voir de traces accusatrices, nul ne s’était inquiété de la disparition subite du pauvre vagabond, qui avait dû mourir vers la borne d’une rue ; toute crainte avait cessé, et, une nuit sombre et pure se présentant, les mendiants étaient venus partager leur commun héritage.

Ce partage s’était fait au milieu d’une horde sans foi ni loi, aucune légalité n’avait pu y régner, et il n’en avait