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les mendiants de la mort

trois êtres innocents ; et maintenant je ne puis, à quelque prix que ce soit, soulager celui qui reste sur la terre !

En songeant ainsi, il arriva dans sa maison de campagne.

Cette habitation, demeurée fermée pendant cinq ans, n’avait subi aucun changement. Herman revit cet intérieur tel qu’il l’avait quitté ; seulement le temps et l’abandon y avaient imprimé un aspect plus sombre.

Il parcourait ce grand bâtiment, dont pendant le dernier séjour qu’il y avait fait la présence de jeunes hôtes, gais et bruyants, dérobait la tristesse. Maintenant ces vastes pièces étaient désertes, silencieuses ; le style antique des décors y répandait le froid qui s’attache à tous les objets du passé ; l’air humide et renfermé avait comme des exhalaisons mortuaires.

Chaque partie de cet intérieur rappelait à Herman les scènes étranges et funestes qui s’y étaient passées, et encore frappé du tableau que lui avait offert le jardin du père Augeville, ces souvenirs lui étaient plus pénibles. Il allait d’une pièce à l’autre, et retrouvait partout ces tristes images.

Dans la salle à manger, la table qu’on avait allongée pour un plus grand nombre de convives était encore dressée ; les pipes, les fusils de chasse, les boîtes à poudre étaient suspendus aux panneaux. Herman croyait entendre encore les rires, les chants, le tumulte désordonné de ce souper où l’ivresse avait été si fatale !… Dans sa chambre à coucher, il revoyait la fenêtre d’où il avait aperçu la jeune Marie pour la première fois, et la place où, si peu de jours après, il avait appris qu’elle n’était plus ; puis le lit de douleur où il avait ensuite passé tant de nuits de fièvre et de délire à voir errer autour de lui les fantômes des morts… Au salon, la pendule sonnait encore de ce même timbre qui se faisait entendre quand Herman et ses compagnons de folie attendaient le dénouement d’une facétieuse et horrible aventure… la porte, ballottée par le vent, semblait prête à s’ouvrir pour laisser voir l’image menaçante de Pierre Augeville enlevant Marie… Pour la chambre à alcôve, Herman n’eut pas le courage d’y pénétrer.

La maison, fermée depuis cinq ans, n’avait laissé sortir aucun des tristes souvenirs, et Herman, après un long temps d’oubli, en était saisi, enveloppé de tous côtés. Pour fuir cette habitation dont il n’avait pas cru trouver