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les mendiants de la mort

tendre forger des fers, voir se lever le jour où on prendra chaîne, qu’est-ce que tout cela, mon Dieu !… Ah ! J’ai bien plus souffert en voyant mourir Marie ! »

À ces mots, Pierre, brisé de l’impression qu’il rappelait, tomba à genoux sur la dalle du cachot. Le jour baissait peu à peu ; on ne voyait plus cette figure solennelle que dans une teinte d’ombre qui s’étendait sur elle comme un voile, et l’enfermait seule avec son éternelle douleur.

Herman, après les premiers instants d’étourdissement, de stupeur, envisagea enfin la fatalité qui l’avait poursuivi dans toute son effrayante vérité ; à sa première surprise, morne, épouvanté, succéda une fièvre ardente.

À la nuit venue, tous les bruits de la prison cessèrent ; un calme sombre régnait dans toute la profondeur de ces murailles. Herman était seul avec cet étrange et implacable ennemi qu’il distinguait vaguement, toujours agenouillé au pied de la muraille, à la lueur blanche de chaque étoile qui passait lentement devant le soupirail.

Les heures s’écoulèrent ainsi. Livré à la fièvre, à cet étal de frémissements continuels, de troubles délirants, Herman, sans cesser de voir sa situation telle qu’elle était, y ajoutait encore les sombres prestiges d’une imagination égarée par l’effroi… dans le cours de cette nuit de doute et d’épouvante, il se reportait sans cesse au temps qui avait suivi son premier crime ; il se retrouvait d’une manière frappante à ces nuits de fièvre, de délire, où le grondement sourd de la rivière redoublait les battements de son sang, où il se voyait entouré de tristes fantômes formés dans la nuit d’une blancheur mystérieuse, et passant sans cesse autour de lui… Mais en ce moment, la désolante vision était une réalité : Pierre Augeville était là !

Quand le jour commença à poindre, les esprits d’Herman étaient tellement égarés et affaiblis par la souffrance, qu’il vit et entendit ce qui se passa alors comme dans un rêve.

Pierre, faiblement éclairé par la lueur pâle qui pénétrait dans le cachot, était toujours prosterné sur la terre ; il tenait entre ses mains une longue chevelure noire, et les yeux élevés vers le soupirail, il regardait le ciel qui se dévoilait au malin.

Il disait d’une voix puissante encore dans son ineffable douceur :

— Marie !… ma tâche est enfin accomplie… je vais te