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les mendiants de la mort

Gauthier, qui était doué peut-être de plus de sensibilité encore que sa physionomie, déjà prévenante en sa faveur, ne devait le faire supposer, avait la paupière humide en répétant ces simples paroles de l’enfant.

Il dit, en continuant son récit :

« — L’été de 93 se passa ainsi. La feinte dont madame Kolli s’était servie pour rester quelques mois de plus sur la terre ne pouvait se prolonger plus longtemps ; et Dieu, auquel avait été remis le soin d’achever son salut, l’abandonnait à ses bourreaux. Le 5 novembre, elle comparut de nouveau devant le tribunal révolutionnaire.

« Le soir de ce jour-là, Lolotte s’avança plus lentement qu’à l’ordinaire vers la grille où son frère l’attendait ; elle tenait à la main une longue tresse de cheveux, et madame Kolli s’était appuyée contre un arbre, en vue de son fils, ce qu’elle n’avait pas osé faire jusqu’alors. Lolotte, se baissant contre les barreaux, dit tout bas à son frère :

« — Voici des cheveux que maman t’envoie… Ce soir elle doit être exécutée… Elle t’ordonne de le conserver pour moi et de prier Dieu pour elle… Elle le recommande de réclamer son corps et de la faire enterrer… À présent, tu vas rester contre la grille… maman est là… elle veut te voir encore une-fois…

« Le fils resta agenouillé, et, à travers les barreaux, tendit les bras vers sa mère. Elle le regarda de loin, lui envoya quelques baisers et disparut en pressant sa fille sur son cœur[1]. »

— Voilà, monsieur, ce qui s’est passé à la place où nous sommes, dit Gauthier en terminant.

— Malheureuse femme ! murmura Herman. Puis il ajouta, par un triste retour sur lui-même : Et cependant elle laissait encore derrière elle des enfants pour pleurer sa mort !…

— Ce jeune monsieur, reprit Gauthier, qui paraît connaître les détours de cette prison mieux que nous tous, dit que cet égout, maintenant fermé, communique par divers passages jusqu’à l’endroit où se trouve aujourd’hui la cantine.

Herman n’écouta pas ce dernier détail, et retourna s’asseoir sur son banc, accablé de la réflexion qu’avait fait naître en lui le récit du gardien de cette pensée déchirante

  1. Ce fait historique est emprunté à l’intéressant ouvrage de M. Alboise sur les Prisons de l’Europe.