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les mendiants de la mort

lentement la fenêtre, et, après une sorte de bascule difficile à exécuter, la longue masse blanche passa ; et le mort descendit l’échelle comme les autres.

Le reste des assistants suivit.

Une fois sur la route, chacun reprit son bagage qu’il avait déposé devant la porte ; quelques-uns se chargèrent de porter entre eux la lourde sacoche d’argent, qui était toujours là ; d’autres allèrent chercher des pelles nécessaires pour l’opération projetée, dans la maison en construction qui avait déjà fourni l’échelle.

Puis on régla l’ordre du convoi.

Les deux plus vigoureux mendiants continuèrent à porter le corps par les deux extrémités. La foule des assistants se rangea tout autour en ligne serrée pour faire le mur, et cacher cette grande forme blanche aux yeux des passants qui pourraient se rencontrer ; les chefs de la bande se mirent en tête, et on partit.

La route et les environs étaient couverts de neige ; la lune, voilée de vapeurs grises, éclairait tristement l’étendue des champs en une seule nappe blanche.

Le cortège grotesque, et pourtant d’une certaine solennité, avançait à pas lents.

Au milieu, le corps, entouré de toile et éclairé de la lueur du ciel, détachait encore en lignes blanchâtres une forme humaine dans le cercle plus rembruni des assistants. Chaque mendiant était là, chargé de son fardeau ; les hommes soutenaient leurs instruments de musique, leurs lanternes magiques, leurs marionnettes ; les femmes portaient de petits enfants sur le dos, les vieux pauvres traînaient seulement leurs potences et madriers. Les marmots en état de marcher clopinaient à côté des rangs, suspendus à la jupe de leur mère.

Tous ces gens murmuraient des prières, d’où il ressortait un sourd bourdonnement mêlé des sons aigres que les cordes des vielles, des harpes rendaient d’elles-mêmes en se ballottant.

Robinette, qui avait ouvert l’avis de ces funérailles clandestines, se tenait en tête du cortège pour commander la marche.

La belle jeune fille qui, sous ses paillettes de Bohémienne, animait autrefois la gaieté dans les fêtes du Trou-à-Vin, cette nuit-là, avec son petit mouchoir en marmotte et sa cape de laine brune, menait le convoi mortuaire avec autant d’ardeur que de courage.