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les mendiants de la mort

épais nuage… Un sac de cuir est dans le fond… On le tire avec tant de violence qu’il s’ouvre… et verse sur le plancher les pièces d’or, d’argent, des billets de banque, des pierreries, parmi lesquelles est la belle parure turquoise de Robinette.

À cette vue, un cri part de tous côtés… un cri d’étonnement, de stupeur autant que de joie… La masse de mendiants fait un mouvement en arrière, comme pour faire une place à ce flot d’argent, et se retire devant lui avec une sorte de respect.

Le cercle s’est élargi d’un pas. La faible lueur donne en plein sur ces pièces de métal, ternes, rougies par le temps, mais qui jettent pourtant les lueurs si éblouissantes aux yeux de ceux qui en voient en un instant tout le prix infini, et restent devant ce trésor, étourdis, stupéfaits, suffoqués par l’extase.

Le premier instant d’étourdissement passé, l’aspect de ces richesses exaspère les mendiants. Ils se rappellent dans un seul souvenir toutes les privations, tous les maux qu’ils ont endurés… ils les supportaient avec résignation, quand ils les croyaient communs à tous ceux de leur classe ; mais maintenant la misère fait sentir ses aiguillons en face de cet or qui eût pu les soulager… Et, loin de là, l’argent même de leur caisse de secours, cet argent qu’ils avaient amassé avec tant de soin et tant de peines, est venu grossir ce trésor !…

Corbeau a été refoulé contre la muraille ; mais, avec sa haute taille, il domine toutes les têtes et voit son or… cet or, sur lequel, tout à l’heure encore, il voulait vivre et mourir… découvert, répandu, livré à cette tourbe odieuse… Il frissonne de rage, ses yeux s’allument de sombres éclairs, et paraissent seuls animés sur son visage pâle comme la mort.

— Infâmes ! s’écrie-t-il, cet argent est à moi, vous ne pouvez y toucher.

— À toi !… à toi !… mais l’argent de notre caisse de secours est là… tu as volé les deniers des malheureux !… Ce vol, vois-tu, il répand la malédiction sur tout le reste de tes richesses… tu en seras privé à jamais.

Mais Corbeau s’est redressé. Ce vieillard, moribond tout à l’heure, a retrouvé des forces inconnues à sa vigoureuse jeunesse ; ses muscles se gonflent ; ses bras se lèvent comme des massues ; il s’élance d’un mouvement si vio-