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les mendiants de la mort

quis à perpétuité pour les dépouilles de Jeanne. Là, les fossoyeurs remplirent le dernier office, le prêtre qui avait suivi le convoi prononça quelques paroles saintes sur le corps, puis le cercueil disparut dans les profondeurs de la terre, et Jeanne ne fut plus qu’un peu de poussière pour l’éternité.

Les personnes qui composaient le cortège se dispersèrent bientôt ; Herman, le cœur serré et les yeux pleins de larmes, avait besoin de demeurer seul sur cette place pour pleurer en liberté.

Après être resté quelques instants plongé dans une douleur bien profonde et bien sincère, car elle se portait sur l’existence entière de la pauvre Jeanne autant que sur sa perte subite, Herman remonta lentement l’allée qui conduisait à la porte du cimetière.

Lorsqu’il n’avait fait encore que quelques pas, et se trouvait à l’endroit où le sentier coupait un massif de cyprès, il vit déboucher du taillis qui était à sa droite un homme qui regarda d’abord de tous côtés avec une attention rapide, puis s’approcha humblement.

— Not’ bourgeois, dit cet homme encore vêtu de son uniforme noir, c’est vrai que monsieur le préfet de police défend les pour-boire, et je suis dans mon tort… mais j’ai ma femme et cinq enfants à nourrir… et deux autres petits en nourrice… qui meurent de faim, les pauvres innocents… Oh ! merci, not’ bourgeois, merci bien ! vous êtes un digne homme… et bien respectable !…

L’employé des pompes funèbres s’éloigna en faisant sonner les deux pièces de cinq francs qu’Herman venait de lui donner, et en disant tout bas :

— À la bonne heure ! voilà au moins de quoi payer une partie des frais de billard.

Du taillis qui se trouvait à gauche sortit à l’instant un autre individu, avançant en tapinois comme le premier.

Rocheboise n’avait pas encore eu le temps de remettre sa bourse dans le gousset, que cet homme en veste et portant une bêche sur l’épaule lui tendait la main en prononçant ce discours :

— Mon bon monsieur, je suis fossoyeur, pour vous servir… Nous sommes tous fossoyeurs dans la famille… enfants du cimetière… C’est moi qui viens de descendre madame votre mère… et j’y ai mis tous mes soins, je puis le dire… du reste comme je fais toujours… car je ne suis