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les mendiants de la mort

sent je suis tout seul dans cette maison isolée… Depuis que la famille François a délogé d’ici à côté, pour s’en aller… au cimetière… la chambre n’a pas été relouée… Voilà quinze jours aussi que le marchand de vin d’en bas a déménagé… Et cette rue hors barrière est si mal habitée… C’est tous logeurs chez qui se retirent un tas de mauvaises gens, le rebut de la ville, les bandits, les voleurs… Que le ciel les confonde, les misérables, qui ne respectent pas le bien d’autrui, ajouta le vieillard en jetant un regard, jaloux et ardent du côté de son lit.

Puis un sourire passa sur son horrible figure.

— Mais qu’ai-je à craindre d’eux ? continua-t-il ; mes haillons, la misère de mon logis me défendent mieux que ne le ferait un corps de garde à ma porte ; avec ça, il n’y a pas de danger que les voleurs pensent seulement à venir chez moi. Et je quitterais cette enseigne de misère, qui défend mon trésor, qui le garde ! Oh ! non, non… Mes haillons, je vous aime ! je vous remercie !

Le mendiant se leva, passa la main sur ses membres endoloris ; et, en ce moment aussi, ayant rencontré sa figure dans un lambeau de glace posé sur la cheminée, il remarqua mieux le changement que la maladie avait apporté en lui. Sa face, creusée jusqu’aux ossements, avait pris une teinte terreuse ; ses rudes cheveux gris tombaient à plat sur ses tempes, et ombrageaient de mèches humides ses yeux caves et éteints ; sa taille gigantesque se courbait en deux et allait déjà rejoindre la terre.

Mais ces avertissements d’une fin prochaine ne lui donnaient point à penser sur le monde inconnu et le jugement suprême qui l’y attendait ; il n’avait songé qu’à ce qui était l’âme de sa vie, l’objet de son éternelle passion, à ses richesses enfouies sous le plancher que foulaient ses pas. Comme depuis son attaque de paralysie il se sentait baisser rapidement, et pensait que son affaiblissement ne lui permettrait plus un jour d’ouvrir la trappe fermée de ressorts de bois et de masse de plâtre, il avait transporté son trésor dans la paille de son lit, pour le voir à volonté, l’avoir plus près de lui, et le sentir encore là à son dernier soupir.

Avant de se coucher, il donna donc un regard d’amour à ce lit qui renfermait toute sa fortune, palpa la toile grossière de sa paillasse en se disant :

— À moi… toujours à moi… J’ai vécu riche, je mourrai riche !

Son attention fut un instant attirée par un bruit de pas