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les mendiants de la mort

— Monsieur, j’avais l’honneur de vous demander…

— Crénom ! poursuivit l’employé des pompes… Et dire que sans ce dernier carambolage, je mettais les frais sur le dos de Planchut !

Et le croque-mort s’éloigna.

— Monsieur, reprend Corbillard, nullement découragé, et s’adressant au second employé qui sort du café, voulez vous avoir l’obligeance de me dire si on va bientôt enlever ?

— Cinq parties liées ! murmure celui-ci en se frottant les mains de joie. Toujours vingt-deux à vingt-deux ! et enfoncé le père Niçois… Bath ! la journée lui paiera cela, il y a toujours le pour-boire malgré l’ordonnance de police…

Et là-dessus il passe son chemin.

— Ça y est, reprend Corbillard en retournant vers les camarades. Ils n’ont rien dit, mais puisque ces joueurs-là quittent le billard, c’est que le temps presse. En garde, les amis !

« Jupiter, au nom de l’Olympe ! cache ta personne, dit le veux philosophe. Tiens, mets-toi derrière mes béquilles… Nous autres, éparpillons-nous… et des figures de Madeleine, s’il vous plaît… surtout, varions les tons ; rien n’embête le bourgeois comme d’entendre geindre et larmoyer sur la même note. »

C’est, en effet, le moment de se montrer. Les cochers sont sur leurs sièges, le char funèbre est amené devant la grande porte, le cercueil, enlevé par les hommes en uniforme de la mort, est posé sur le corbillard. Rocheboise et le petit nombre de personnes qui assistent au convoi de la pauvre Jeanne sortent par la porte réservée, attendant que le cortège ait commencé sa marche pour entrer dans les voitures de deuil. C’est en cet instant que les mendiants envoient au fils de la défunte une prière collective qui leur attire, de sa part, d’abondantes aumônes.

Une demi-heure plus tard, les restes de Jeanne pénétraient dans le cimetière Montparnasse. Ceux qui leur rendaient un dernier hommage descendirent de voiture et les suivirent à travers les allées du champ funèbre. Après avoir parcouru dans toute sa longueur ce jardin des morts, que l’automne, avec ses teintes jaunes, ses arbres diaphanes, ses plantes penchées, son atmosphère vaporeuse, revêtait en ce moment de l’aspect qui lui était propre, on arriva devant une fosse creusée, dont le terrain était ac-