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les mendiants de la mort

jeunes gens émerveillés leurs ténébreuses campagnes.

Cependant, un des nouveaux pensionnaires de la Force contrastait étrangement avec ses compagnons de captivité.

C’était Herman de Rocheboise, transféré de la conciergerie à la maison centrale. La distinction de sa personne, son élégance de mise et de maintien constataient le rang élevé d’où il était tombé dans ce repaire du vice et du crime ; malgré l’altération de ses traits, et même la première ride creusée, sur son front pendant ces jours de souffrances, il offrait toujours l’extérieur le plus admirable, et sa beauté n’avait fait que changer d’expression.

Le jugeant étranger parmi eux, les habitués de la prison ne cherchaient point à l’entretenir, et ne s’occupaient de lui en aucune manière ; cependant, malgré cet heureux isolement, chaque fois que le cours de la promenade ramenait l’un de ces hommes près de lui, il courait dans ses veines un frisson de répulsion et d’épouvante. Assis à l’écart sur un banc, le bras appuyé sur ses genoux, il soutenait sa tête tournée du côté de la muraille, et rêvait profondément.

Chose étrange, sa pensée se reportait moins sur les derniers événements de sa vie que sur les jours plus reculés dans le passé ; par exemple, les scènes du Bas-Meudon revenaient se peindre à son imagination de la manière la plus lucide. Pour la première fois, il se demandait si tout ce qu’il avait commis de fautes ou de crimes n’était pas la suite de la cruelle folie par laquelle il avait perdu la famille Augeville ; il pensait que, peut-être, après cette action si coupable, il avait été fatalement conduit à en commettre de plus criminelles encore, comme à la plus terrible des punitions.

En ce moment, ses regards tombèrent sur un détenu qui marchait en s’éloignant, derrière le rang d’arbres du préau.

Sous l’impression qui le dominait alors, la taille, la forte carrure, les longs cheveux de cet homme, lui rappelèrent Pierre Augeville, tel qu’il l’avait aperçu au moment de sa mort : il avait alors sept ans.

Déjà cette vision de Pierre Augeville repassant entre les arbres, sous un ciel brumeux, s’était offerte à lui à son dernier, voyage du Bas-Meudon… Elle avait précédé le moment le plus douloureux de sa vie, celui où il avait été abandonné de Valentine… Et maintenant il revoyait cette