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les mendiants de la mort

— Oh ! silence là-dessus !… Ne parlez pas d’un tel sentiment !… vous… vous ; je vous le défends !

— Mais vous avez voulu perdre Valentine, vous dis-je ! Et cela, Dieu puissant ! dans quel moment ! dans celui d’une séparation cruelle, lorsque cette femme était le seul bien qui fût laissé à un malheureux égaré, la seule puissance bienfaisante qui pût le ramener au salut ! lorsque le dévouement de cette femme pouvait paraître sous son jour le plus radieux, le plus sublime !

Herman, s’exaltant à ce souvenir, continuait avec plus de violence :

— Oui, c’est là la trahison, l’infamie, ou il n’en est point sur la terre I

« Corrompre l’âme de Valentine ! mais c’est perdre ce qu’il y a de plus pur, de plus noble au monde, c’est détruire le plus bel ouvrage de Dieu, c’est un sacrilège ! »

Léon regardait s’exhaler la colère de son rival avec un dédain superbe, qu’il puisait dans la noblesse et la générosité de son amour. Il dit en levant des yeux inspirés :

— Oh ! oui, ce qu’on m’impute à crime, je l’accomplirai.

— Vous osez l’avouer !

— Valentine consentira à me suivre.

— Qui vous le dit ?

— Oh ! c’est qu’elle aura à juger entre nous deux. Je ne me suis pas déshonoré, moi ; je n’ai pas abdiqué la dignité humaine ; je n’ai pas prodigué ma jeunesse à des femmes perdues, jeté mon cœur à d’ignobles amours, éteint mon âme dans l’orgie ; je n’ai pas dévoré des biens précieux en me saturant de honteuses jouissances ; je n’ai pas couronné le vice en traînant à ma suite des courtisanes parées comme des reines ; je n’ai pas jeté l’or comme la poussière, et commis ensuite d’indignes bassesses pour en avoir… Oui, Valentine aura à juger entre vous et moi ! Et, songez-y bien, l’âme de Valentine renferme une étincelle de la justice divine.

Cela était vrai… Herman n’en détestait que plus son rival et souffrait mille tortures.

— Eh bien ! s’écria-t-il, moi qui ai fait tout cela, je vous méprise, parce que vous, vous avez été fourbe et traître !

— Que m’importe votre mépris, je ne vous compte pas au rang des hommes.

— Je ferai valoir mes droits.