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les mendiants de la mort

Peu à peu ils s’avancent adroitement et viennent se ranger jusque sous les tentures du portail, où ils se trouveront les premiers sur les pas des parents et amis de la défunte à leur sortie de la maison de deuil.

De là, ils observent ce qui se passe à l’intérieur et au dehors et se font part de leurs réflexions.

— Voilà le monde qui arrive de tous côtés… on va bientôt enlever.

— Dame, ça en a l’air.

— En arrière donc, Jupiter… tu marches toujours sur les pieds des autres.

— En arrière, répète le nègre, oui, c’est cela… Et puis vous prendre tout… et puis, vous dire ensuite au pauvre Jupiter : Dieu t’assiste, mon garçon.

— Cet être-là est-il méfiant !

— Voyons, moricaud, dit en se posant en médiateur un vieux mendiant qui n’est autre que Corbillard, d’où viennent tes soupçons ? Est-ce que la dernière fois nous n’avons pas loyalement partagé ?

— Pardine… répond-il, la dernière fois Jupiter avait l’argent du jeune monsieur, et c’est Jupiter qui a fait le partage… pardine !

— De sorte que tu es le seul honnête et que nous sommes tous de la canaille… Songes-y, Jupiter, ajoute le philosophe, l’homme est le miroir de l’homme ; sois bienveillant, bon camarade avec nous, et tu nous trouveras de même… En attendant, cache ta peau noire, qui nous ferait un tort immense si le maître de cette maison venait à te reconnaître.

— S’il ne veut pas s’écarter, tiens ! il faut le pousser, conseille Gandois.

— Non, pas de bruit, mes amours, reprend Corbillard ; il est inutile de surexciter l’attention des sergents de ville… Notre ami de la Cafrerie va entendre raison, vu qu’il y va de son intérêt comme du nôtre… Là, vous le voyez bien, douceur fait mieux que violence. Jupiter, je te rends mon estime.

— Ta vertu sera récompensée, dit un autre mendiant.

— Sois-en sûr, mon fils, ajoute Corbillard. Tiens, regarde cette pauvre Jeanne, elle en a vu de dures, celle-là. Eh bien, toujours patiente, résignée, bonne envers tous. Aussi elle a souffert toute sa vie comme une damnée ; mais aujourd’hui, la voilà enterrée comme une reine.

— Moi, me fiche bien d’être enterré.