Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
les mendiants de la mort

— Voyons… huit francs par homme… je ne peux pas à moins… Que diable, songez-y donc ! Tous habit noir… drap d’Elbeuf… quelques-uns des cheveux blancs. Et tenez, parce que c’est vous, je vous mets deux ou trois décorés.

Rocheboise, à bout de patience, tire le cordon d’une sonnette, et dit au domestique qui paraît à la porte :

— Reconduisez monsieur.

— Vous êtes un fils dénaturé ! s’écrie le grand maigre en étendant le bras vers Herman dans sa sortie théâtrale. Ça va faire un enterrement bien propre !… Quel siècle ! quel siècle !

Herman cette fois donna des ordres tels que d’autres mendiants lugubres ne purent parvenir jusqu’à lui, et qu’il passa le reste de la journée, comme il en sentait le besoin, dans la solitude et le recueillement.


II

le convoi de jeanne

Le lendemain matin, la grande porte de l’hôtel était tendue de draperies noires galonnées d’argent. Un drap mortuaire semblable couvrait un cercueil placé sur une estrade et se déroulait jusqu’à terre, des cierges brûlant de chaque côté répandaient sous la voûte des tentures une lumière jaune et vacillante.

Déjà le corbillard et les voitures de deuil stationnent à quelques pas ; les employés des pompes funèbres attendent patiemment dans les cafés voisins. Un cercle nombreux s’est formé devant l’hôtel et remplit la largeur de la rue.

Il est composé de tous les gens avides de recueillir les spectacles quelconques épars sur le pavé de Paris, et de pauvres honteux qui pourront saisir l’occasion de tendre furtivement la main.

Mais ce qui abonde surtout, ce sont les mendiants de profession accourus à la première nouvelle d’un enterrement. Les mendiants, comme ces lourds et sombres papillons de nuit aux ailes traînantes, viennent tourner autour de toute lumière qui brille, aux flambeaux de mariage comme aux torches mortuaires.

Ils sont ici pour attendre la donne,c’est-à-dire l’aumône qu’on fait au nom des morts. Aussi leur attention se porte sur les préparatifs du convoi, dont ils examinent avec soin tous les détails, car le plus ou moins de largesse qui s’y trouve déployée sert d’indice sur la valeur de l’aumône dont ils seront eux-mêmes gratifiés.