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les mendiants de la mort

rangés le long de l’escalier pour faire passer sous leur arc embaumé des gens en sabots.

Toute la fête est maintenant évanouie. Par un changement de décor à vue, l’enceinte du plaisir est transformée en vulgaire magasin. Les murs nus sont dégradés par le déplacement subit des tapisseries. Les meubles en palissandre, en bois de rose, les glaces encadrées de mille feuillages d’or, les bronzes, lea porcelaines, toutes ces choses dont l’harmonie était si gracieuse, semblent déjà déflorées dans le désordre ; les fenêtres dégarnies jettent un jour cru et blafard sur ce chaos.

La vente marche rapidement. Tout ce luxe, qu’on disait fait pour rehausser la beauté, n’était donc fait que pour amener quelques spéculations de gros sous… La musique devait donc s’évanouir si vile dans ces salons, pour que les échos ne répétassent plus que les vieux mots de l’encan : Personne ne dit plus rien… adjugé.

Robinette, pendant toute l’opération, est restée tapie dans un coin, rouge de colère, les sourcils contractés, et ne pouvant même tempêter à son aise, parce que sa voix serait étouffée par les sons plus hauts de la criée.

Mais lorsque les derniers meubles ont été enlevés, la jeune fille voit un des hommes de service apporter devant le commissaire sa harpe, son cher souvenir d’enfance, le seul objet qui lui appartienne réellement en propre dans cette demeure.

À cette vue, un mouvement de l’âme se fait sentir en elle. Cette humeur maussade et boudeuse d’un enfant auquel on ôte ses jouets disparaît pour faire place à un vague attendrissement ; son cœur bat, ses yeux se mouillent de larmes ; elle s’élance vers l’agent de l’autorité les mains jointes.

— Monsieur, dit-elle, je vous en prie, ne vendez pas cette harpe : elle est à moi.

— À vous, comme tout le reste, mademoiselle.

— Laissez-la moi.

— Je ne peux pas.

— Voyez donc, elle est toute abîmée… et ne vaut pas grand chose.

— Le prix des objets ne me regarde pas… en vente !…

Robinette réfléchit une minute et s’écrie :

— Écoutez, écoutez, monsieur ! vous devez me laisser mon lit… La loi accorde à l’exproprié son lit pour se coucher… je le sais, moi… Eh bien, prenez mon lit et laissez moi ma harpe.