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LES MENDIANTS DE PARIS

si bien des pieds et des mains, qu’il renversa le grand diable d’homme dans la poussière et lui fit demander merci, le genou sur la poitrine.

De bruyants applaudissements saluèrent le petit vainqueur.

— C’est fini, dirent les spectateurs, le Joueur de crin-crin a eu son compte.

Mais Pierre se pencha à l’oreille du vaincu :

— Non, ce n’est pas fini, dit-il, il faudra que tu quittes le pays… m’entends-tu ?

Le ménétrier ne répondit que par des jurements et s’éloigna.

On ne dansa pas au village ce dimanche-là.

Cependant le joueur de violon, qui, assez mauvais ouvrier, du reste, ne vivait guère que de ses contredanses, réunit toutes ses petites économies pour acheter un autre instrument. Cela marcha bien pendant quelque temps, et il avait presque oublié son désastre, lorsqu’un dimanche, en allant à l’armoire de la salle de bal où il enfermait son violon, il trouva la porte forcée et l’instrument en morceaux. Il pensa bien d’où venait le coup ; mais, connaissant alors les poings du petit Augeville et leur savoir-faire, il n’osa pas lui toucher un mot de cette affaire, comme il en aurait eu le désir. Il vendît nippes et meubles pour avoir un troisième violon. Celui-ci, également dévoué, à la vengeance obstinée, adroite et patiente de Pierre, eut, au bout de quelque temps, le sort des deux premiers. Le malheureux ménétrier, à bout de ses ressources, quitta enfin le pays, comme l’avait résolu l’implacable petit jardinier.

Marie, en prenant des années, aida plus sérieusement ses bienfaiteurs. L’apprentissage fini, elle travailla d’elle-même, sans être pour cela séparée de Pierre. Un heureux hasard avait mis ces deux enfants dans une condition où ils pouvaient toujours être à l’ouvrage ensemble. Marié semait, plantait, arrosait avec Pierre dans le beau temps, allait avec lui sous l’orage étendre les paillassons qui garantissaient leurs chères plantes ; et, toujours, auprès de son jeune maître, tournait la meule où il aiguisait les outils du labour.

C’était elle aussi qui était chargée des soins de l’intérieur. Au moment où les deux jardiniers se sentaient accablés de fatigue et de chaleur, un son argentin de sonnette se répandait sous le feuillage, et les travailleurs, répondant à cet appel, trouvaient au logis la soupe fumante.