Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
LES MENDIANTS DE PARIS

Sa figure était éclairée de cette lumière intérieure qui vivifie la beauté, qui arrête le regard et attire l’âme. Elle était debout ; sa tête charmante s’inclinait sur les cordes de la harpe, qu’allaient frôler ses cheveux. Ses yeux, fixés sur ceux du jeune homme, tandis qu’elle chantait de naïfs amours, épanchait un fluide pénétrant et le portaient au sein d’Herman. La pause de ses mains sur les cordes argentées faisait remonter ses larges manches et montrait son bras rond et velouté. Son humble costume même lui était favorable. Ce n’était plus l’enfant du peuple, ce n’était pas la femme du monde, elle paraissait plutôt une de ces vierges du Nord, qui, dans les temps antiques, tiraient des sons de la harpe consacrée pour inspirer le courage de leurs frères.

La jeune fille paraissait alors dans toute la puissance idéale de sa beauté.

Herman ne la quittait pas du regard. Le sang bouillonnait dans ses veines ; ses tempes étaient frappées de vifs battements, son sein soulevé d’un souffle brûlant. Il serrait avec force ses bras croisés sur sa poitrine pour ne pas saisir la jeune fille et la presser sur son cœur.

Enfin, quand la chanteuse eut jeté sa finale harmonieuse, vibrante, douce comme une caresse, brillante comme un éclair, Herman se leva, saisit sa main et y imprima un baiser.

— Tant de charmes ! tant de perfections ! s’écria-t-il avec transport. Et penser à aller mourir si jeune dans un couvent, où ce cœur ardent tomberait bien vite en cendre !

La jeune fille triomphait, elle le sentait bien ; elle pouvait aller plus vite maintenant, et presque demander hautement ce qu’on brûlait de lui donner.

Plus hardie alors, mais toujours naïve, elle s’écria avec une mutinerie charmante :

— Mais, puisqu’il le faut ! puisqu’on doit payer tout l’amour que je donnerai par la froideur et l’ingratitude ! puisqu’on ne veut pas absolument m’aimer !

Elle jeta ses deux mains de côté dans le plus joli petit geste de négation et de désespoir, puis elle reprit :

— Voyons, puisqu’il est dit dans ma bonne aventure qu’un homme insensible fera mon malheur éternel !

— Et si la bonne aventure avait menti ! dit avec feu Herman ; si vous deviez trouver, au contraire, l’homme qui saurait puiser dans les trésors suprêmes de votre beauté