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LES MENDIANTS DE PARIS

— Vous, monsieur !… que peut vous faire l’existence d’une pauvre fille ?

— Mais puisque ces pensées sont tristes et coupables, mon intérêt pour vous doit en souffrir autant que ma raison.

— Coupables ?

— Sans doute. La nature, qui s’est plu à vous douer de tant d’attraits, ne vous les pas donnés pour vous-même, mais pour parer le monde où vous alliez entrer, et en faire jouir les regards… Tenez, ajouta M. de Rocheboise en souriant, vous trouveriez bien coupable et impie le voleur qui déroberait les ornements magnifiques de l’église pour les enfouir dans son trésor. Comment ne seriez-vous pas criminelle aussi de dérober et d’enfermer dans la nuit d’un cloître les beautés qui servent à parer cette terre dont la nature a fait son temple.

La jeune fille accueillit cette comparaison par un frais éclat de rire qui montrait sa vanité satisfaite et le peu de consistance de sa résolution.

— Voyons, reprit Herman, vous avez Une voix ravissante… dont j’ai surpris le secret en entrant ici lorsque vous chantiez… et même en vous écoutant quelques minutes…

— Vraiment !

— Vous êtes musicienne, si j’en crois cet instrument… chantez-moi, en vous accompagnant de la harpe, quelque morceau d’une harmonie bien douce et bien légère, pour chasser les sombres pensées.

Robinette se hâta de satisfaire à cette demande et de prendre sa harpe, car elle se sentait là dans son jour le plus séduisant. Elle était trop faible musicienne pour avoir même une idée du talent, ainsi la timidité ne venait point diminuer ses moyens.

Et elle répétait en elle-même :

— Courage ! ça va joliment bien !

L’instrument ne rendait que des notes incertaines et peu sonores ; mais qui s’en serait aperçu ! la voix de la jeune fille remplissait l’air d’enivrantes mélodies.

Le désir de plaire, une ambition nouvelle et brûlante qui s’éveillait en elle, la fierté du succès qu’elle se sentait commencer à atteindre, donnait à la petite musicienne des rues une inspiration élevée, des accents expressifs et vibrants qu’elle n’avait jamais eus en jetant au bon peuple ses refrains pour un sou.