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LES MENDIANTS DE PARIS

— Tenez… et que je ne vous revoie plus… hum !… c’est trop facile, quand on devrait travailler pour vivre, d’aller tendre la main dans des maisons.

— Il n’en coûte guère plus d’aller la tendre à la cour, dit maître Friquet avec une mine narquoise, âpres avoir empoché le louis.

Et faisant une espèce de gambade en guise de salut, il s’éloigna rapidement.

Après une si bonne soirée, le mendiant à domicile marchait fier comme un roi.

Lorsqu’il eut tourné l’hôtel et pris la petite rue Las-Cases, il se trouva en face d’un vieux pauvre qui traînait sa complainte, sa béquille et un pan de son manteau sur le pavé. Il reconnut en lui le pauvre diable qui était venu quelques heures auparavant frapper inutilement à sa vitre.

— Ah ! dit-il, c’est encore vous !… Mais, mon brave homme, vous savez bien que la mendicité est défendue.

— Qu’est-ce que ça fait, mon bon monsieur, puisqu’on demande tout de même ? On ne peut pas empêcher les pauvres oiseaux du bon Dieu de ramasser le grain qui tombe de la meule.

— Et toi, est-ce que tu n’as pas de répugnance à vivre des restes de tous ?

— Quand j’en aurais du regret, ce serait tout de même, puisque je suis bel et bien impotent de la tête aux pieds, et que je ne peux faire autre chose… Mais la vérité est de dire que je ne me plains pas de mon lot.

— Dame, il pourrait cependant être meilleur, dit M. Friquet en se redressant dans son habit râpé.

— Vous dites ?

— Qu’on peut vivre ailleurs que dans la fange.

— Oui, quand on a de quoi, qu’on travaille ou qu’on vole.

— Et tu aimes mieux ton chien de métier ?

— Je ne dis pas non. Quand on demande son pain, voyez-vous, ce n’est pas comme le propriétaire qui paie des impôts et qui craint l’incendie ; on ne risque pas à tout moment son cou comme le voleur, et on vit tout de même à rien faire… M’est avis que quand le bon Dieu vous fait naître sans père ni mère, aveugle ou bien manchot, c’est un brevet qu’il vous donne pour vivre en gentilhomme, et qu’on devrait pour ça lui tirer son chapeau.

— Mais la fin, mon bonhomme, la fin de tout cela !