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LES MENDIANTS DE PARIS

rais ; un mouchoir de quatre sous, pour mettre en cravate ou à ma tête les jours que je veux paraître en malade ; puis, c’est tout.

— Et le colloquet[1] ?

— Le colloquet ! Est-ce que yous l’achetez, vous autres !

— Eh oui !

— Des niais !

— Qu’est-ce que tu fais donc, toi ?

— Je le trouve. Il y a premièrement le bord de la rivière, où ceux qui vont se noyer laissent toujours leur chapeau… c’est l’usage… Ils saluent en sortant de ce monde… Ensuite, dans ce bois de Boulogne où nous sommes, quand vous voyez, deux fiacres qui arrivent ensemble, un terrain qui se mesure, des messieurs qui se font des politesses, tout le bataclan d’un duel, vous n’avez qu’à rester par là… Un des deux messieurs est tué ; et, dans ce cas, on ne relève jamais son chapeau : vu qu’il n’en a plus besoin, ou qu’on n’y pense pas, je ne sais lequel.

— Et c’est pour toi le colloquet ?

— Comme vous le dites.

— Corbeau fait ripaille sur les morts… il rentre dans sa nature.

— Total, dit Pierrot, j’ai posé cinq francs douze sous.

— Ah ! cinq francs douze sous, dit le nègre, voilà ce que coûte à vous autres votre pelure !

— À peu près, répondirent les mendiants.

— Eh bien ! ma peau noire, elle en coûte à moi huit mille !

— Bah ! ta peau ?…

— Huit mille !… je disais bien ! je suis plus beau que vous tous !

— Qu’est-ce que tu chantes ?…

— Parole d’honneur. Écoutez… Quand va pour percher moi dans quelque grenier, et que marchande l’appartement, on me répond : — C’est tant pour toi, moricaud. Et vois bien qu’on compte à moi trois fois plus. Quand veux faire petite ribote, il faut, payer pour tout le monde, afin que les blancs ils veuillent bien la compagnie du noir. Quand veux faire la cour à la moindre fillette, elle demande : Est-il méchant ?… mord-il ?… et il faut que Jupiter donne beaucoup, beaucoup d’argent, pour qu’elle veuille bien croire lui apprivoisé et pas méchant du tout…

  1. Le chapeau.