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LES MENDIANTS DE PARIS

Satan et son poignet droit coupé. De ce bras, il appuyait les cartes contre sa poitrine, tandis qu’il jouait de la main gauche.

Les autres assistants étaient un ramassis de ce qu’il y a de plus ignoble et de plus repoussant dans toute la tourbe mendiante.

En ce moment, on entendait derrière l’assemblée, dans l’épaisseur des arbres, une voix jeune et fraîche, qui répétait sur un ton chantant :

— V’là d’z’hannetons, d’z’hannetons pour un yard !

Et le son clair, argentin, glissait sous les feuilles tout autour du cercle hideux.

— Tiens, c’est Pierrot, dirent les mendiants. Écoute ici, Pierrot.

— Bonjour, les autres, dit un beau petit garçon de douze ans en entrant dans l’assemblée.

— Est-ce que tu viens ici vendre tes hannetons ?

— Non, je les cherche… Je dis que les v’là pour leur donner idée de venir.

— Bois un coup avec les camarades.

— Camarades… plus de ça… je ne demande plus mon pain… je suis entré dans le commerce, dit-il en relevant sa jolie tête blonde.

Cependant, la fierté que donnait à Pierrot sa position indépendante n’allait pas jusqu’à lui faire refuser des croûtes de pâté. Le petit marchand s’était déjà assis par terre et s’accommodait très-bien des miettes du festin, tandis que la partie de piquet continuait.

Le nègre disait, en mêlant les cartes :

— Oh ! dieu de mon père ! moi t’en prie bien, fais gagner au pauvre Jupiter cette partie, dans laquelle il va mettre tout le reste de la fortune à lui !

— Comment est-il fait, le reste de ta fortune ? demandèrent les mendiants.

— Cette pièce…

— De vingt sous… c’est magnifique !

— Quand moi étais riche, moi jouais bien fort… pas vrai, vous autres ? mais à présent qu’il reste seulement cette petite blanche à moi, peux pas mettre sur le tapis vingt francs.

— Tu as été riche, loi, Jupiter ?

— Riche de quinze mille francs, qui ont été mis dans le boursicot que voilà, il y a cinq années. Il n’en reste plus que cette petite blanche… elle seule !… Voyez bien