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LES MENDIANTS DE PARIS

donc ? me demanda madame de Châtenay. Je répondis oui en rougissant.

— Vous ne m’aviez jamais parlé de cela.

— Vous vîntes passer la soirée chez madame de Châtenay. On dansa, on fit de la musique. Je vous observai des yeux et du cœur : et si j’avais connu vos traits avant de vous voir, je connus de même, avant d’avoir pu éprouver votre caractère, qu’il y avait en vous d’autres qualités que les dons extérieurs. Hardie en face de l’amour, parce que je ne le vis jamais que noble et pur, je m’avouai à moi-même que je vous aimais… Mais bientôt, malheureusement, minuit sonna, et il fallut se retirer… Minuit est une heure néfaste : elle me sépara de vous pour bien longtemps… Peu après cette soirée, les intérêts de ma famille exigèrent impérieusement que j’épousasse M. de Neuville. Je souffris, mais j’obéis au devoir… Et pendant cinq années, hélas ! Raphaël n’exista plus pour moi qu’en peinture.

La teinte sombre qui avait obscurci le front d’Herman se dissipait peu à peu.

On pouvait juger à la douceur et à la puissance du regard d’amour que Valentine laissait tomber sur lui, que c’était là le rayon céleste qui faisait évanouir les nuages. — Le jeune homme releva la tête et reprit lui-même le fil des souvenirs où Valentine l’avait interrompu.

— Au bout de ce temps, dit-il, vous m’auriez peut-être oublié, car vous me croyiez encore un riche et insouciant jeune homme, ne songeant qu’à jouir de la vie… Mais tout cela était bien changé… Une succession de jours fatals avait passé sur moi ; les peines présentes appelaient le souvenir des peines passées ; et toutes ensemble, ombres ou réalités, formaient une pesante chaîne qui devait m’accabler… En moi étaient détruites la force, la santé ; autour de moi l’opulence qui avait été mon élément… Vous sûtes alors…

— Toujours par Léon Dubreuil.

— Vous sûtes que mon père et moi nous habitions loin de l’hôtel dont la ruine nous avait chassés, une triste retraite où nous allions voir finir les faibles restes d’une fortune si rapidement écroulée… Vous jugiez bien que dans l’état où nous étions réduits, mon père ne pouvait plus rien pour moi, et que, de mon côté, la mollesse de mes premières années, les défauts de mon éducation toute su-