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LES MENDIANTS DE PARIS

trouvée agenouillée à cette place. Vous aviez éloigné les ronces qui couvraient ce tombeau et posé sur la pierre une couronne d’immortelles. Vous apportiez des fleurs et des prières sur cette pauvre tombe qui n’en avait peut-être jamais eu ; qui est seule, cachée à l’ombre de ces arbres, et dont, sans vous, personne n’eût jamais connu la place… Ça m’a été au cœur, Jeanne, c’est vrai, et, depuis ce jour-là, je me suis senti attaché à vous.

— Mais vous-même, Pasqual, en parlant de la solitude de cet endroit, comment se fait-il que vous y veniez ?

— Moi, j’ai été élevé à la campagne ; le soir, quand j’ai la tête fendue du soleil de la rue et des fumées infectes de la taverne, j’ai besoin de respirer un autre air avant, de me coucher, et je viens ici… Puisque le jardin des morts n’est pas, comme les autres, fermé au mendiant…

— Alors, reprit Jeanne, avec émotion, vous ne portez aucun intérêt à cette tombe et ne l’avez jamais regardée ?

— Non.

— Voyez, reprit-elle en soulevant les tiges d’églantier qui dérobaient les rayons de la lune, voyez, cette pierre porte pour inscription : Pierre et Marie, avec une seule date pour le jour de la mort. Mais quoiqu’on lise deux noms gravés ici, le corps seul de Marie repose dans le cercueil.

— Et l’autre dépouille mortelle ?

— Dieu seul connaît sa place.

— Sans doute, Jeanne, la personne qu’on a déposée ici vous était chère ?

— Elle m’était étrangère, et je ne l’ai vue qu’une fois.

— Et vous venez sur sa tombe par une tendre pitié !

— Non, par expiation.

— Comment ?

— Marie est morte bien jeune… sacrifiée aux fautes d’un autre… et… il faut que je vous le dise, Pasqual, ce n’est pas pour la victime que je viens prier ici… c’est pour le meurtrier.

— Que dites-vous ?

— Je crains que le malheur ne s’élève pour lui de cette pierre funèbre.

— Cet homme vous intéresse donc bien, ma pauvre Jeanne, que votre voix tremble ainsi ?

Jeanne ne put rien répondre.