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« Voir mon fils de loin, au gré du hasard et sans être connue de lui, avait été tout mon bonheur de mère. Mais cette douceur était encore si grande pour moi que je ne pouvais y renoncer… Je sentais que mon pèlerinage n’était pas fini, qu’il faudrait me rendre à Paris et y retrouver les traces d’Herman… Je ne combattis pas longtemps. Une seconde fois je me décidai à quitter l’asile où mon humble existence était assurée pour la livrer encore au hasard.

« Je dis adieu en pleurant à ces parages que je connaissais si bien, où j’avais autant vécu que si tout le cours de mon existence se fut passé là… à ces alentours du château que j’avais tant frayés, et où chaque herbe, chaque pierre gardait un des souvenirs de mon amour… »

Ici Jeanne s’arrêta subitement, croisa les mains sur sa poitrine dans un frémissement intérieur, et leva son regard dans l’espace avec une lenteur solennelle.

— Le jour baisse ! dit-elle d’une voix altérée.

Ces mots tirèrent Herman et Valentine de l’attention tendre et mélancolique avec laquelle ils écoutaient le récit de leur mère. Le soir venait en effet, et son obscurité naissante ramenait à la pensée cet avertissement terrible : la malade ne passera pas la journée.

Herman se leva, en frémissant.

— Oh ! dit Jeanne, ce n’est que la nuit pour tous les êtres de ce monde… Pour moi, ce sont les premières ombres des ténèbres qui ne doivent pas finir.

— Non ! non ! c’est impossible ! ma mère bien-aimée, dit Herman en fixant sur la mourante un regard d’amour pur, resplendissant, qui lui rendait la lumière effacée du ciel.

— Oui… reste là, mon fils, reprit-elle d’un accent interrompu… Reste bien près de moi… que je retrouve un peu de force pour achever ce qu’il me reste à dire. En revoyant ta mère, mon enfant, tu n’as trouvé en elle qu’une pauvre mendiante, Écoute…

— C’était au milieu de l’hiver ; je partis pour Paris, marchant sur la route couverte de neige, et songeant que le soir, je ne trouverais ni pain, ni toit pour m’abriter. Alors parut devant mes yeux avec une lucidité singulière l’image de la mendiante d’Ancenis, lorsque je l’avais vue sur le bord de la route, et m’étais dit : voilà comme je serai un jour… Ce souvenir m’éclaira : mon sort devait être désormais d’implorer la charité publique.