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« En approchant de cet endroit, je ne songeai ni à respirer l’air libre des champs dont, j’étais depuis si longtemps privée, ni à la douceur de me retrouver après vingt-quatre ans maîtresse de diriger mes pas à mon gré ; je ne remarquai sur ma route ni la colline verdoyante, coupée de terrasses de marbre que débordaient les fleurs des jardins, ni de l’autre côté, au bord de la rivière, un humble convoi mortuaire qui passait sous les saules du rivage… Je ne cherchai que la demeure du comte de Rocheboise.

« Il me fut facile de la reconnaître d’après les indications que le colporteur m’avait données. Arrivée là, je m’assis sur l’herbe en face de cette maison ; j’étais au terme de mon pèlerinage.

« La rencontre que j’avais faite de M. de Rocheboise à Versailles me donnait à craindre que son fils, ainsi que lui, n’eût quitté le Bas-Meudon ; mais les fenêtres ouvertes et le mouvement qui avait lieu dans l’habitation me rassurèrent sur la présence du jeune maître.

« J’attendis. Il était impossible que je ne visse pas paraître Herman à l’une de ces croisées, que je ne le visse pas sortir dans le cours de la journée… Il aimait la chasse, c’était tout ce que je savais de lui… C’était beaucoup en ce moment, car mon espérance de le voir bientôt en était augmentée… Ces portes allaient s’ouvrir, des meutes, des domestiques rempliraient l’avenue… puis Herman paraîtrait, en élégant chasseur, son fusil sur l’épaule.

« Mon cœur battait avec tant de force que je me sentais près de succomber sous cette émotion délicieuse et accablante.

« Cependant je ne sais par quelle fatalité les fenêtres restèrent désertes, personne ne sortit ; tout le reste de la journée se passa sans réaliser une de mes espérances.

« Comme je l’ai dit, je n’avais ni argent ni aucune ressource pour subsister ; je pensais attendre à la place où je me trouvais jusqu’au moment où j’aurais pu apercevoir mon fils… puis ensuite m’étendre sous un arbre, et mourir, en remerciant Dieu d’avoir connu un instant l’existence avant de la quitter !

« Mais la nuit vint et mon courage commença à faiblir. Je pensai en frissonnant que si la journée du lendemain n’était pas plus heureuse, je pourrais expirer avant d’avoir goûté ce moment de bonheur suprême pour lequel j’avais donné m’a vie entière.

« Épuisée de fatigue, de besoin, je pressai sur mes lè-