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si accompli, je brûlai du désir de le voir… Quand, au fond du cloître, une idée fixe vient s’emparer de votre esprit, le temps est si long pour y songer, le recueillement et le silence la laissent si bien se développer en liberté, qu’elle devient bientôt une puissance à laquelle il faut fatalement céder.

« Huit jours s’étaient à peine écoulés depuis la visite du marchand ambulant, que j’étais décidée à fuir du couvent de Sainte-Marie pour aller dans les lieux où je pourrais sans me faire connaître à lui, apercevoir mon fils.

« Bien que la clôture éternelle soit abolie, les religieuses n’en ont guère plus de liberté de quitter leur retraite : l’usage antique, la conscience monacale les retiennent à défaut de la loi. Si j’avais déclaré ma volonté de retourner dans le monde, il aurait fallu subir mille difficultés, mille retards… et je voulais partir… La vieillesse avançait ; s’il m’était donné de revoir mon fils, je n’avais pas trop de temps pour en jouir… Et puis, j’étais si lasse d’obéir ! ma volonté, abattue depuis vingt-quatre ans, avait tant besoin de se relever et de faire usage de la vie !… Je résolus de quitter la maison religieuse de mon propre arbitre.

« Une nuit, celle qui précédait le premier dimanche du mois où a lieu la procession générale, je me levai sans bruit, j’allai dans le vestiaire prendre la robe noire… Je l’avais assez souvent portée cette robe de pénitence, je pouvais bien, la connaître… j’y joignis une simple coiffe, un mouchoir de couleur, et, me glissant dans la chapelle, Je cachai ces vêtements derrière l’autel, de la Vierge, puis je revins dans ma cellule.

« Le lendemain, au lever du soleil, les cérémonies religieuses commencèrent.

« Après l’office, au moment où la procession se mettait en marche pour parcourir les alentours du monastère, je dis à la supérieure, tout bas en tremblant comme une feuille, que je me sentais très-souffrante, et lui demandai la permission de demeurer dans la chapelle pendant la cérémonie au dehors. Ma pâleur, l’altération de mes traits prêtaient un air de vérité à mes paroles, et l’abbesse me répondit par un signe de consentement.

« Je suivis du regard la procession qui s’éloignait avec la lenteur du pas religieux et du chant sacré pour aller parcourir les longues arcades du cloître et les berceaux