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« D’abord cette résolution de sa part ne me causa point d’effroi je me mis à l’instant à écrire ma réponse. Je disais que mon fils appartenait à moi seule, que j’userais de mon droit pour le conserver, et l’élèverais d’une manière digne du nom de mon père qu’il devait porter…

« Là je m’arrêtai subitement. Je l’élèverai, répétai-je en pressant mon front de mes mains, mais avec quoi, mon Dieu !… Je cherchai en frémissant… avec mon travail ? dis-je, vingt ou trente sous par jour, quelle fortune pour donner de l’instruction et un état à un jeune homme !… encore ma vue faiblit, cette ressource peut me manquer… mais quand même j’userais jusqu’au dernier rayon la lumière de mes yeux pour gagner la vie de mon fils, d’où recevra-t-il la nourriture de l’intelligence ?… Je ne peux pas l’instruire, moi, je ne sais rien… Je ne peux pas l’introduire, le poser dans le monde, moi inconnue dans ma solitude, et si j’en sortais, réprouvée par ma situation.

« Toute la triste prévoyance que j’avais quelque temps rejetée loin de moi vint alors m’accabler… Dans la nuit, je fis un rêve affreux ; je me vis morte et mon fils demandant l’aumône auprès de mon cercueil… À peine éveillée de ce songe, il me sembla entendre une voix qui me disait d’assurer l’avenir de mon enfant, à tout prix, sans songer à moi-même… À cet ordre cruel, je sortis éperdue de mon lit, je marchai à grands pas dans une espèce de délire, et une lutte violente s’établit en moi.

« Dans certains instants, j’aimais mon enfant avec une passion instinctive, avide, palpitante comme celle de la louve pour le petit qu’elle allaite ; je ne songeais qu’à le garder contre les ravisseurs ; dans d’autres, je l’aimais, avec une abnégation sainte, où je ne voyais que lui où je ne vivais qu’en lui, et j’étais prête à le porter moi-même dans mes bras jusqu’à l’homme qui pouvait le rendre riche, heureux !

« Enfin le jour parut et la lumière pénétra dans mon âme avec lui. Le sentiment le plus élevé l’emporta. Dans une situation où il fallait sacrifier mon enfant ou moi, je me trouvai digne du titre de mère ; je sauvai mon fils et assumai sur moi toutes les douleurs.

« Je le devais au nom de l’amour, au nom de la raison : mon fils avait toute l’existence à parcourir, et moi, le malheur avait rapidement usé ma vie ; qu’importaient des