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a bien moins l’air d’un comte que d’un escamoteur de cartes… C’est égal, tout est terminé entre lui et moi.

Un second papier était dans l’enveloppe ; mais Herman, dans sa joie étourdissante, ne le remarqua pas.

— Tout cela était donc vrai, mon Dieu ! reprit-il ; ce que j’ai vu et entendu dans l’oratoire… cette apparition de la mendiante… ces révélations extraordinaires ?…

— Eh bien ! dit Dubreuil d’une voix émue, prendras-tu encore pour du délire une preuve du dévouement de Valentine ?

— Oh ! c’était elle seule qui avait le droit de blâmer ma conduite, elle seule dont je devais craindre les reproches tacites, la froideur ! Et c’est elle qui vient à mon secours !

En ce moment Valentine parut sous les arbres, le regard radieux, le plus doux sourire sur les lèvres.

Grâce aux précautions prises par la bonne vieille, messagère inconnue, madame de Rocheboise croyait que les fonds déposés chez son banquier avaient été absorbés par les embellissements de l’hôtel, dont elle n’avait jamais connu le montant ; et la vieille mendiante ayant aussi voulu se charger de solder l’adversaire d’Herman, elle ignorait également dans quel lieu et avec qui la dette de jeu avait été contractée.

Valentine reprocha gracieusement à Herman de lui avoir caché ses peine, quand elle pouvait les faire cesser. Dans l’épanchement de sa joie, elle mit dans son langage le toi dont se sert une tendre mère.

— Mon Dieu !… dit-elle, mais tout ce que nous possédons de fortune est à toi ! tout mon bonheur est de te voir en jouir… Tu vois bien, ajouta-t-elle avec un sourire, qu’en dépensant tu ne peux pas me ruiner !…

— Oh ! dit Herman, j’ai prodigué si aveuglément…

— Tu ne peux pas calculer sans cesse comme un homme d’argent… cela t’irait mal, mon Herman.

— Des dépenses aussi folles que nombreuses…

— Eh bien ! faut-il donc régler ses désirs de jeunesse avec la régularité de l’horloge ?… Qu’importe qu’il te plaise de jouir vite ou lentement… Dissipe en un jour ce que tu voudras, tu te reposeras le lendemain dans une existence plus calme… et plus douce peut être !

— Chère Valentine !

— Tu es maître de prodiguer tes plaisirs, Herman ; seulement, à l’avenir, ménage mieux tes peines, et surtout viens me les confier ; tu n’es pas libre de souffrir sans moi… Pour cette fois je te dirai comment…

— Je le sais… J’étais sur le balcon, devant la croisée de l’oratoire, quand…

— Une révélation inattendue, divine… à laquelle je n’oserais croire moi-même, est venue m’apprendre la situation dangereuse et le moyen de t’en arracher…

— Oui… j’étais là… j’ai tout entendu.

— Et moi, reprit Valentine en riant, moi qui, à ton réveil, me donnais tant de peine pour te cacher ma joie… ma joie mêlée encore de bien des anxiétés, car enfin aucune garantie ne m’était donnée, et j’avais peine à croire que la main si faible de la pauvre femme pût dénouer cette affaire.

— Et cette digne et sainte créature ?

— Elle a tenu sa promesse. Elle m’a quittée non loin de chez l’homme d’affaires où j’étais allé avec elle pour lui remettre des fonds empruntés sur une de mes propriétés, en me disant qu’avant la nuit tes chagrins cesseraient, et que tu serais sauvé de plus d’un danger… La journée avançait… j’attendais avec angoisse, quand tout à l’heure la vieille mendiante est entrée chez moi… Elle m’a remis une lettre sous enveloppe… Je savais que tu étais ici, sous les marronniers… Sans attendre, sans vouloir te laisser une minute de plus dans l’inquiétude qui t’accablait, j’ai sonné et j’ai envoyé cette lettre qui apporta ta délivrance… Tandis que je suivais avidement du regard le domestique dans l’allée du jardin, la mendiante a disparu… lorsque je me suis retournée pour lui rendre grâce dans l’effusion de mon cœur, elle n’était plus là.

— Et moi aussi, je veux la remercier ! s’écria Herman. Il faut qu’elle me dise le secret de sa protection généreuse, de sa sollicitude envers moi, pour que je sache quel nom donner à la tendresse que je lui voue.

— Mais moi !… comment l’ai-je laissée partir !… comment l’ai-je un instant oubliée !