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gues perturbations d’esprit auxquelles j’ai été livré dans la maladie faite il y a cinq ans au bas-Meudon.

— Laissons cela… Il est toujours resté un voile de mystère étendu sur la fin de cet événement… mais aujourd’hui, me disais-tu ?

— Voici ce qui est arrivé. Hier soir, en effet, la tête bourrelée de tant de soucis, ayant passé tout le jour à souffrir des déceptions que m’apportait chaque réponse négative que je demandais, j’ai senti la fièvre redoubler de violence, et des nuages brûlants passer dans mon cerveau. Cet état durait encore ce matin. Dans la crainte de laisser échapper quelques paroles qui fissent connaître la cause de mon mal, je voulus rester seul.

Mais c’était Valentine qui avait passé la nuit à te veiller, qui était encore près de toi.

— À elle, plus qu’à toute autre, je redoutais de révéler ma situation !… Je lui dis que le sommeil m’accablait, que j’avais besoin d’être seul pour reposer… Mais loin de là, dès qu’elle se fut éloignée, je quittai ce lit brûlant où je ne pouvais plus tenir, je passai une robe de chambre et allai sur cette galerie.

Herman montrait un large balcon qui régnait devant la façade de l’hôtel du côté du jardin.

— C’est là, continua-t-il que donne l’oratoire de Valentine… et cette circonstance, sans doute, a fait naître l’hallucination dont je te parle.

— Enfin ?

— J’ai cru voir la porte-fenêtre de cet oratoire fermée de manière à ne laisser qu’une étroite fente… Tiens, comme elle l’est précisément à présent, dit Herman en indiquant une grande croisée cintrée, dont les vitraux étaient peints de symboles religieux. J’avais en ce moment, continua-t-il, une douleur de tête très-vive, les objets vacillaient devant mes yeux, mais du reste il régnait assez de clarté dans mes idées… Voici donc ce qu’il m’a semblé découvrir dans l’oratoire en glissant mon regard par l’ouverture de la fenêtre, tandis que le coloris du vitrage empêchait qu’on pût me voir de l’intérieur. Valentine, à genoux, devant son prie-dieu, les mains jointes, les yeux levés au ciel, pleurait, et, dans le murmure d’une piété fervente, répétait souvent mon nom…

— Eh bien ! interrompit Dubreuil avec un accent profond, y a-t-il rien de plus réel que l’amour de la femme, Herman ?

— Mais écoute. La porte de l’oratoire s’est ouverte ; une vieille femme couverte de haillons noirs, l’une des mendiantes de ce faubourg, est entrée.

— Une mendiante !

— Je connais cette pauvre femme ; je lui ai donné une fois l’aumône sous le péristyle de Saint-Sulpice ; je l’ai revue une autre fois ici, dans le pavillon de la serre chaude, où elle était venue apporter des fleurs de la part d’une marchande… Ce soir-là même, quelques paroles étranges de sa part m’ont laissé voir que ma vie lui était connue… et c’est sans doute le souvenir entouré de mystère que j’ai conservé d’elle qui, dans cet accès de délire, a porté mes pensées de son côté.

— Sans doute… Et alors ?

— La vieille femme a écouté quelque temps en silence la prière de Valentine ; puis elle a dit, de cet accent doux et pur, étranger à sa condition, que je lui connaissais :

— Vous priez Dieu pour votre mari, madame… Oh ! vous êtes vous-même la divinité bienfaisante qui pouvez le sauver… Valentine s’est levée avec surprise… Mais à mesure que son regard s’est fondu avec le regard inspiré de celle qui lui avait parlé ainsi, elle s’est approchée pas à pas de la pauvre mendiante, comme attachée par un charme sympathique, l’a fait asseoir près d’elle et l’a écoutée, étonnée, émue et retenant son haleine… Cette étrangère parlait avec une connaissance parfaite de ma situation ; elle disait que des soucis poignants, amenés par un embarras de fortune, causaient seuls mon mal subit, et qu’une somme de quatre-vingt-dix mille francs, dont on disposerait de suite en ma faveur, pourrait me sauver…

— C’est étrange ! interrompit Léon.

— Hélas ! mon cher, tu oublies que c’est du délire !

— Je le crois maintenant… Continue.

— Valentine recueillait ces paroles avec une attention palpitante, et à chaque minute laissait éclater des signes