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LES MENDIANTS DE PARIS

vre, la petite main qui se tend, la pièce blanche qui sonne… En avant la pipe, le litre à douze, et même la fillette pour trinquer avec vous… Comme il est dit dans ma chanson, mes enfants, au courant du ruisseau !

Les mendiants applaudissent et se mettent à chanter en chœur le refrain de la chanson composée par Corbillard :

Enfants perdus, dans la nature entière,
Il n’est pour nous vendange ni moisson ;
Mais le pain tombe avec notre prière,
Et le vin coule avec notre chanson.
Nous mourons tous, sans regret, sans envie,
Sur ce pavé qui fut notre berceau,
En attendant, laissons aller la vie
 Au courant du ruisseau.

Et tous ensemble ils répètent :

 Au courant du ruisseau !

— À boire ! à boire ! s’écrie Robinette, dont la voix fraîche et sonore a dominé toutes les autres.

— Garçon, six bouteilles de Châblis, dit Pasqual ; c’est moi qui paie.

— Ah ça, demande Briquet à celui qui vient de faire cette commande, c’est donc vrai, mon garçon, ce qu’on dit de tes moyens ?

— On dit ce qu’on veut, répond Pasqual en fronçant le sourcil, car, au fond, on ne sait rien de moi.

— C’est pourquoi on en parle, observe madame Jacquart.

— Voilà une bonne raison !

— Sans doute, répond Corbillard, c’est pour te punir d’avoir des secrets. Raconte ton histoire, on n’en parlera plus.

— Mon Dieu ! ce sera bientôt fait, dit Pasqual d’un air réfléchi. Écoutez, puisque vous le voulez. Je suis né dans une espèce de désert… sur les côtes de la Bretagne… Mes premières années se sont passées dans cette solitude, où je ne voyais personne au monde que mes parents… Mais tout jeune encore, lorsque je commençais à travailler la terre, en remuant le sol, sous une épaisse touffe d’herbes, je trouvai un trésor qu’on y avait enfoui.

— Un trésor ! s’écrie-t-on.

— Peut-être n’en eût-ce pas été un pour d’autres, que pour moi, reprit Pasqual avec un regard rêveur. Mais