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LES MENDIANTS DE PARIS

mais des impressions vives, diverses, venaient passer en elle.

Quelque chose lui disait vaguement qu’elle allait sacrifier sa liberté et courir des dangers qu’elle ne connaissait pas. Les maximes dont mademoiselle Rose l’avait bercée revenaient à sa mémoire ; elle entendait bourdonner à son oreille les paroles de la Bible sur le feu des passions qui dévore… sur la honte, la mort qui attend les femmes folles… Il n’y avait pas jusqu’aux principes de sagesse de son vieil ami Corbillard qu’elle ne se rappelât malgré elle… et elle aurait bien voulu qu’il fût là pour lui demander conseil… Tout cela la tenait en suspens, sans que sa propre raison y fût pour rien.

En même temps, l’atmosphère de luxe et de volupté qu’elle respirait la pénétrait par tous les pores. Le jour amolli et coloré de douces nuances, les parfums répandus dans l’air, le bruissement de la soie qu’elle sentait flotter autour de son corps la faisaient frissonner de plaisir ; et elle n’avait certes aucune envie de se retrouver dans ses pauvres habits et sa triste demeure.

Pendant cette minute de lutte intérieure, elle tenait ses yeux baissés et indécis.

Herman, qui vit cette hésitation, se hâta d’ajouter :

— Mais je vous le certifie, mademoiselle, cette parole, bien hardie en effet, veux-tu m’aimer ? n’est réellement qu’une question de ma part et vous laisse toute votre liberté. La réponse dépend de vous seule… Je vous ai fait enlever un peu brusquement ; c’est par surprise qu’on vous a revêtue de ces parures, qu’on vous a installée dans cette habitation où se trouve réuni tout ce qui peut séduire ; mais tout cela ; je vous le jure, n’était qu’une manière de vous faire mieux connaître quelle serait chacune de vos journées en acceptant l’existence que je vous offre… Maintenant c’est à vous d’en juger et de répondre.

Comme la jeune fille se taisait encore, Herman ajouta vivement :

— Mais il faut vous décider à l’instant même… car, pour moi, cette incertitude est affreuse… Vous êtes libre, je vous le répète encore ; ma voiture est en bas ; je vais, si vous le voulez, vous ramener dans la maison de votre mère, où des liens de cœur vous attachent peut-être ; autrement, la première nuit que vous passerez dans